Feu Idriss Déby, ami de la France
Depuis le départ forcé en 1990 d'Hissène Habré, le Tchad – 1,3 million de km², 17 millions d'habitants (dont 52 % ont moins de 18 ans), classé 187ème sur 189 par l'Indice de Développement Humain – a subi la très ferme autorité d'Idriss Déby. Soutenu par la France (où il étudia à l'École de guerre), aidé par la DGSE dans sa prise de pouvoir, il jurait d'instaurer un régime démocratique ; mais toutes les élections, depuis, ont été entachées de fraudes, à peine dénoncées par la "communauté internationale", trop heureuse de la présence aux frontières sud de la Libye d'un pouvoir "musclé" jugé capable de contenir le terrorisme... et intéressée par les ressources pétrolières.
Les fonds accordés par la Banque mondiale ont d'abord servi aux dépenses d'armement, à l'achat d'opposants politiques, et aux intérêts de l'ethnie du président (les Panama Papers décrivent les transferts de la famille Déby dans les paradis fiscaux) plutôt qu’à l'exploitation des ressources nationales en vue du développement promis à la nation.
Déby a souvent affronté des rebelles venus du Nord, comme en 2008, lorsqu'encerclé dans son palais par des troupes pro-soudanaises, il n'a dû son salut qu'au soutien de forces spéciales françaises et aux munitions dépêchées par Kadhafi à la demande de Sarkozy ! Devenu un acteur décisif de l'opération Barkhane, basée à N'Djamena et menée par la France avec le G5-Sahel (Burkina Faso, Mali, Mauritanie, Niger et Tchad), il avait reçu son bâton de maréchal après une victoire contre les djihadistes salafistes de Boko Haram en 2020.
Mais cette fois-ci, la France n'est pas intervenue à temps pour le sauver d'une attaque de rebelles du FACT*. Le 20 avril, au lendemain d'une élection présidentielle mouvementée (arrestations, intimidations, fuites d'opposants et même meurtres), on apprenait que le président (réélu par 79 % des suffrages) venait "de donner son dernier souffle en défendant l’intégrité territoriale sur le champ de bataille". Mort à la tête de ses troupes ? lors d'une négociation avec les rebelles qui aurait dégénéré ? suite à une révolution de palais ? difficile de le savoir... En tout cas, alors que la constitution prévoit un intérim confié au président de l'Assemblée nationale, celui-ci (pour raisons de santé, dit-on) a renoncé, et, comme pour Joseph Kabila (en RDC en 2001), Faure Gnassingbé (au Togo en 2005), Ali Bongo (au Gabon en 2009), le fils du président succède à son père.
La diplomatie française, si prompte d'habitude à condamner les leaders agissant anticonstitutionnellement, s'est contentée de "prendre acte de l’annonce par les autorités tchadiennes de la mise en place d’un Conseil militaire de transition". Les États-Unis, eux aussi soutiens de Déby, se prononçaient "en faveur d'une transition pacifique du pouvoir, en conformité avec la Constitution tchadienne", ce qui est quand même un peu plus décent !
Assis le 23 avril aux côtés du général-président Mahamat Idriss Déby, 37 ans, jusque-là chef de la force d'élite-garde présidentielle, et désormais à la tête d'une junte militaire "pour dix-huit mois", Macron a été le seul chef d'État non africain présent aux obsèques du maréchal, lors d'un de ses très rares déplacements à l'étranger depuis plus d’un an. Son discours fut affectueux ("Je partage le deuil d’une Nation touchée dans sa chair par le sacrifice de son premier soldat. Je partage aussi le deuil d’un ami"), mais aussi menaçant ("La France ne laissera ni aujourd'hui ni demain menacer la stabilité de ce pays"). Il est vrai que le Tchad est soumis à de graves tensions : il peut sombrer dans l’anarchie comme la Libye ; militaires et djihadistes fourbissent leurs armes ; les ethnies jusqu’ici défavorisées revendiquent leurs droits ; beaucoup de riches civils quittent le pays ; les pauvres sont plus que jamais démunis. De grandes manifestations contre la junte ont fait au moins cinq morts. Macron fait tout pour que rien ne change. La Françafrique n'est pas morte...
* FACT : Front pour l'Alternance et la Concorde au Tchad, groupe politico-militaire tchadien à dominante gorane (ethnie saharienne) qui lors d'une incursion depuis la Libye venait d'investir la région du Tibesti.
https://www.wakatsera.com/tchad-deby-est-mort-vive-deby/ (site burkinabé)
https://www.humanite.fr/tchad-idriss-deby-lindispensable-dictateur-de-paris-est-mort-702903