La France
dans la guerre au Mali
Notre président échange ces derniers temps avec la junte militaire qui dirige le Mali de touchantes amabilités : lorsque le Premier ministre Choguel Kokalla Maïga l'accuse à l'O.N.U. d’un « abandon en plein vol », Macron lui répond sur R.F.I. que « la légitimité du gouvernement actuel est démocratiquement nulle ».Ces échanges montrent à quel point la décision du président Hollande d'apporter "dans l'urgence" le 10 janvier 2013 au Mali "l'aide" de l'opération militaire Serval
(préparée de longue date), n'a pas été un franc succès !
Certes, le Sud du pays, région la plus peuplée et la moins pauvre, subissait une offensive djihadiste (même si Bamako n'était pas aussi clairement menacée qu'on le disait).
Certes, il n'était pas absurde de considérer Aqmi (Al-Qaida au Maghreb Islamique) ou Ansar Dine (groupe armé salafiste djihadiste) comme des ennemis communs au Mali et à la France dans la "lutte contre le terrorisme" (but de guerre mis en avant par toutes les puissances ayant lancé des opérations militaires depuis 20 ans, à l'instar de Poutine en Tchétchénie et de George W. Bush en Irak).
Certes, la plupart des populations urbaines qui redoutaient les exactions des djihadistes ont dans un premier temps accueilli l'intervention française avec soulagement (même si dès 2013 se sont fait entendre des voix d'intellectuels maliens redoutant les dérives de l'intervention militaire).
Certes, l'opération Serval, menée de front avec "l'action en faveur du développement économique et de la sécurité" du G5 Sahel (Mauritanie, Mali, Burkina Faso, Niger et Tchad) a obtenu le soutien de l'O.N.U. (dont l'opération MINUSMA vise par ailleurs à protéger les civils et les Droits humains), et elle a remporté dans les premiers mois quelques succès contre les groupes armés.
Mais qui était plus mal placé que la France pour intervenir avec sa force armée dans un pays où elle ne laisse guère de bons souvenirs ? Elle l'avait violemment conquis à la fin du XIXe siècle, face à la résistance acharnée et désespérée des Khassonkés, des Malinkés, des rois du Kénédougou. La soumission et la domination forcée pendant la colonisation d’un vaste territoire autrefois structuré par de solides empires a été suivie d'une longue ingérence de la France depuis l'indépendance (22 septembre 1960) : attitude ambiguë à l'égard du séparatisme touareg, soutien apporté à la dictature de Moussa Traoré de 1968 à 1991, assujettissement économique du pays (endettement, privatisations, tutelle monétaire), impact sur le Mali de l'aventure libyenne, accommodements avec les dirigeants d'une "démocratie" de plus en plus corrompue au début du XXIe s., rôle encore important d'expatriés français et d'entreprises du CAC 40 espérant jouer un rôle-clé dans une future "reconstruction", renvois massifs récents par Paris de migrants illégaux au Mali, liens privilégiés de la France avec le Qatar... qui pourtant soutient financièrement des groupes djihadistes dans le Sahel !
Il s'ajoute bien sûr à tout cela, comme dans une grande partie du monde, le renouveau d'un islam fondamentaliste voyant la France comme le pays des "croisés" et prêchant ouvertement la haine de la civilisation occidentale.La guerre s'enlise. Aqmi se reconstitue, procédant désormais à des incursions ponctuelles et à des attentats. Le maintien des troupes coûte cher, et la France substitue en 2014 à Serval l’opération Barkhane , pour sécuriser la bande sahélo-saharienne, avec la mission de lutter contre les groupes djihadistes et d’empêcher la constitution de sanctuaires terroristes. Les djihadistes se livrent à une guerre asymétrique, en utilisant les ressentiments locaux et les conflits intercommunautaires conduisant à d'odieux massacres (par ex. entre Peuls et Dogons réfugiés dans des villages). On estime à 9 000 le nombre de morts dans les conflits armés au Mali depuis 2012, dont plus de 3 000 civils.
D'ailleurs, l'intervention de nos troupes, menée depuis bientôt neuf ans par un Exécutif n'ayant accordé au Parlement qu'un rôle marginal, et qui a coûté la vie à 52 soldats français, est loin d'être irréprochable ! Ses motivations économiques inavouées (par exemple la "sécurisation" de l'accès aux matières premières du Nord-Est du Mali et du Niger voisin, comme l'uranium), l'expérimentation et la promotion dans le Sahel de notre armement (maintenu à un haut niveau dans une période de restrictions budgétaires), l’utilisation du paravent de l’ONU par une puissance qui tire profit de son siège permanent au Conseil de Sécurité, le rôle assumé depuis 50 ans par la France de "gendarme de l’Afrique", le recours aux forces supplétives de la Cedeao (Communauté Économique Des États de l'Afrique de l'Ouest), caution africaine de l'opération, et aux troupes aguerries du Tchad de feu Idriss Déby, les liens ambigus avec le groupe armé du MNLA (Touaregs indépendantistes), la volonté de limiter l'influence algérienne dans la région, la marginalisation des Maliens dans la conduite des opérations militaires et dans les décisions politiques concernant l’avenir de leur pays... figurent parmi les nombreuses zones d’ombre de cette intervention, et ne sont pas pour rien dans l'évolution d'un régime malien de moins en moins démocratique... Aujourd'hui, la junte se rebiffe, et Bamako souhaite ouvrir des négociations avec les groupes djihadistes, ce que ne veut absolument pas Paris
.
Le discours peu diplomatique du premier ministre malien (qui a fait ses études en Russie et a été nommé en juin dernier par le président putschiste Assimi Goïta) s’adresse d’abord à son opinion publique, souvent habitée par un sentiment antifrançais... Il vient d'être démontré que ce sentiment a des raisons d'exister ! Les militaires au pouvoir se tournent désormais vers la Russie, lui achètent des "équipements militaires techniques" (comme l'affirme le ministre Lavrov) et s'apprêteraient à recruter les redoutables mercenaires de la "société militaire privée" dite groupe Wagner (appartenant à un homme d’affaires proche du Kremlin, Evgueni Prigojine), dont le concours est jugé par la France "incompatible" avec l'opération Barkhane... Le paradoxe est qu'elle offre ainsi peut-être à notre pays un prétexte pour se retirer du Mali moins honteusement que les États-Unis d'Afghanistan !
Nous, Quetignois, avons des amis au Mali. Plusieurs adhérents et sympathisants de Réinventons Quetigny ont participé aux voyages et aux multiples activités du jumelage avec Koulikoro, dont les objectifs sociaux, culturels, solidaires, n'avaient en général rien de "néocolonialiste" ! Nous nous désolons des événements en cours, et avant tout des souffrances de la population. Que faire aujourd'hui ? Nous aurons l'occasion, dans un futur numéro de cette Lettre, d'aborder l'histoire et l'avenir du jumelage.
Hollande avait déclaré en novembre 2012 : « En aucun cas la France n'interviendra elle-même au Mali ».
Hollande avait déclaré en septembre 2013 : « Nous avons gagné cette guerre. Nous avons chassé les terroristes. Nous avons sécurisé le Nord ».
Sarkozy avait déclaré en mars 2011 : « Nous intervenons pour permettre au peuple libyen de choisir lui-même son destin. Il ne saurait être privé de ses droits par la violence et par la terreur ».
Pour ne rien arranger, Macron, en dénonçant le 30 septembre dernier la « rente mémorielle entretenue par le système politico-militaire » en Algérie, vient, en plus, de faire interdire aux avions militaires français de Barkhane le survol de ce pays !
https://fr.wikipedia.org/wiki/Guerre_du_Mali (récit détaillé des opérations)
Critique de l'intervention française au Mali par Aminata Traoré, ancienne ministre de la culture du Mali (avril 2013), mise en ligne par Politis sur YouTube
Entre la France et le Mali, les dits et les non-dits d'une querelle (dans La Croix, qui propose 3 articles en ligne gratuits)
La France en guerre au Mali. Enjeux et zones d'ombre, livre collectif de l’association Survie, coordonné par Juliette Poirson et Fabrice Tarrit, éd. Tribord, 2013 (249 p., 7 €)