L'assassinat de Samuel Paty
Je suis Samuel Paty
(communiqué de Réinventons Quetigny)
« Réinventons Quetigny condamne sans aucune ambiguïté le sauvage assassinat de Samuel PATY. Nous ne pouvons accepter qu’un enseignant perde la vie pour avoir exercé son rôle d’éducation à la liberté de penser. Nous sommes solidaires de sa famille et du monde enseignant sans lequel notre société n'aurait pas le degré de liberté dont nous jouissons tous aujourd’hui. Cet acte odieux n'incombe en aucune manière à nos concitoyens de culture ou de confession musulmane qui rejettent la violence et aspirent à vivre en paix comme chacun·e d’entre nous. »
Quetigny, le 23 octobre
Le crime est abominable et a bouleversé la France. Un homme est mort pour avoir fait son métier de professeur d’histoire-géographie, pendant un cours sur la liberté d’expression et la liberté de la presse, dispensé dans le strict cadre des programmes républicains. Il mettait ainsi en œuvre bravement une liberté pédagogique reconnue par le Code de l’Éducation, dans un contexte difficile, alors même que le mépris de l’État pour les fonctionnaires de l’Éducation nationale s’affiche depuis des décennies.
Victime d’un attentat perpétré au nom d’une conception dévoyée de l’Islam, il était depuis plusieurs jours la cible d’attaques sournoises dans des "réseaux sociaux" instrumentalisés par quelques ennemis de la démocratie. À travers cet homme lâchement et perfidement mis à mort de façon barbare, c’est l’Éducation nationale qui a été visée. L’école est le lieu de la construction du citoyen et de sa liberté de conscience, de la formation d’esprits éclairés par la pratique du débat. Enseignants, parents, élèves, ont pour devoir d’affirmer leur attachement sans failles à un enseignement qui ouvre les jeunes à l’esprit critique et à la liberté du jugement individuel. C’est une tâche essentielle du service public d’éducation. C’est une condition indispensable à la réalisation d’un régime démocratique et d’une société apaisée.
La mobilisation de la plupart des forces politiques, syndicales, culturelles et même religieuses de notre pays dans le soutien à la mémoire, aux proches et aux collègues de Samuel Paty nous réconforte.
Mais l’existence même de quelques voix discordantes (« il n’a eu que ce qu’il méritait »), à l’étranger mais aussi en France, a de quoi nous inquiéter… tout comme, du côté du pouvoir et de la droite principalement, des réactions "à chaud" (non sans arrière-pensées électorales) qui contribuent à la banalisation des idées de l’extrême-droite et en viennent à faire vaciller la pensée. Elles vont manifestement à l’encontre de ce que Samuel défendait par son action quotidienne : "législation de guerre" contre l’islamisme réclamée par Marine Le Pen, diatribe contre les boucheries ou rayons hallal par Gérald Darmanin ; ajoutons que l’affirmation de Jean-Luc Mélenchon sur l’existence d’un "problème avec la communauté tchétchène en France" nous paraît, elle aussi, tout à fait malvenue, ce qu’il a d’ailleurs lui-même reconnu.
Est-on sûr que Samuel a été protégé sans restriction, sans pressions, par sa principale et par son rectorat ? Depuis longtemps, des syndicats de professeurs contestent le rôle progressivement donné depuis trente ans aux chefs d’établissement.
Ils étaient autrefois des enseignants chargés de superviser les services administratifs, de gérer les budgets, de faire appliquer les programmes, de veiller à la bonne marche de leur école, collège ou lycée au quotidien…
Ils sont devenus des cadres du nouveau management d’État qui déploie la concurrence dans les services publics, sont soumis à des lettres de mission avec objectifs chiffrés, reçoivent des primes à la performance, organisent des entretiens professionnels, et sont promus de façon opaque en fonction de leur zèle et de leur adéquation avec ces objectifs.
Comment s’étonner qu’ils aient érigé le "pas de vagues" en règle tacite ?
Le chantier est énorme dans l’Éducation nationale et dans la société pour redonner du sens à la laïcité. Cela implique un travail de fond à tous les niveaux. Cela nécessite, de la part de l’État, d’assurer de manière pérenne les conditions d’exercice du métier des professeurs, en leur accordant des salaires décents (ne serait-ce que pour mettre fin à l’effondrement du nombre des candidats aux concours d’accès à ce beau métier), en leur assurant une formation professionnelle (initiale et continue) solide, en leur garantissant une liberté pédagogique pleine et entière, en accueillant et en écoutant leur parole : ayant choisi courageusement leur profession en dépit des dégradations de son exercice et des abandons de l’État, n’ont-ils pas droit au respect ? sont-ils les moins bien placés pour contribuer à la définition de leur mission ? La mobilisation de l’opinion publique après le drame de Conflans ne sera-t-elle qu’un feu de paille, ou le gouvernement passera-t-il enfin des bonnes paroles à l’action ?
Pour aller plus loin :https://blogs.mediapart.fr/monia-ben-romdan/blog/191020/les-vicomtes-pourfendus