Histoire de l'histoire de la Commune


Deuxième article de notre série sur la Commune de Paris.

Certain·e·s, se souvenant de la célébration du centenaire de la Commune, au temps si doux de Pompidou... fredonnent encore une célèbre chanson de Jean Ferrat... On était alors, paradoxalement, avec la droite au pouvoir et le sinistre Marcellin (pourfendeur des libertés) à l'Intérieur, dans une phase post-soixante-huitarde de nostalgie romantique pour ce grand mouvement populaire.

Pourtant, au début de la IIIème République, la "légende noire" de la Commune avait présenté ses acteurs comme une horde de brigands dégénérés et assoiffés de sang ; elle fut entretenue par la plupart des politiques et des écrivains : Ferry, Flaubert, Daudet, George Sand s'acharnaient contre elle ; Clemenceau ou Zola étaient fort ambigus ; Jaurès, Verlaine ou Hugo, favorables, faisaient figure d'exceptions. Peu à peu, une "légende rouge" prit le dessus, faisant assez peu de cas de la violence exercée par les communards, gonflant le nombre des victimes de la répression versaillaise, exaltant le caractère démocratique d'un régime idéaliste pourtant contraint à des mesures d'exception, comme la censure ou les exécutions d'otages.

Peu à peu, c'est le caractère fondateur (droits des femmes et des étrangers, séparation des Églises et de l'État, bureaux municipaux pour l'emploi, solidarité envers blessés et endettés, protection des salariés et justiciables...) de ce régime de 72 jours, atrocement réprimé par Thiers et Galliffet pendant la Semaine sanglante, qui en a fait une référence pour la Gauche dans toutes les luttes du XXème s.

Après Mitterrand, la Commune suscita moins d'intérêt. Puis, peu à peu, à droite comme à gauche, des politiques se sont réapproprié l'événement... en tentant de l'intégrer au patrimoine républicain et en lui retirant souvent sa dimension subversive. En 2003, Christian Poncelet, président UMP du Sénat, dévoila au Luxembourg une plaque en hommage aux massacrés de la Commune. On vit même en 2014 l'anarchiste communarde Louise Michel élue par les lectrices du Figaro Madame "héroïne de l’année" ! La dernière refonte des programmes scolaires du secondaire (2019) a accru la part réservée à la Commune (accordant une mention particulière à Louise Michel).

Il n'empêche que la Commune est toujours "clivante" : au Conseil de Paris en février, des élus ont dénoncé les célébrations prévues par la mairie pour ses 150 ans : Rudolph Granier (LR) a rappelé "les incendies de la Commune qui ont ravagé des pans entiers de la capitale", et Antoine Beauquier (LR) a réprouvé "ceux qui prirent en otage et assassinèrent les dominicains d’Arcueil venus ramasser les blessés sous l’emblème de la Croix-Rouge". En réponse, Raphaëlle Primet (PCF) mettait en avant "la révolution la plus moderne, la plus large et la plus féconde de toutes celles qui ont illuminé l’histoire".

Pour nous, la Commune a le mérite d'inspirer et d'éclairer des mouvements sociaux très actuels comme Nuit debout, les Gilets jaunes, les ZAD... "La recrudescence de son intérêt et de sa mémoire", selon l'historienne Ludivine Bantigny, "est liée à l’effervescence autour des 'Communs', qui prônent une démocratie directe par des assemblées populaires. Le capitalisme et le néolibéralisme sont de plus en plus contestés". On insiste moins aujourd'hui sur la lutte des classes, qui pour Marx était le moteur de l'événement et avait conduit le peuple de Paris à mettre en place les prémisses d'une société communiste, que sur les réflexions pleines d'espoir menées par les communard·e·s sur la souveraineté populaire "par le bas", le désir de justice sociale, la place des femmes, les rôles de l’art, de la culture, du travail, le partage des tâches… dans notre période où la confiance dans le personnel politique est au plus bas.

Ce n'est bien sûr pas un hasard si la liste que nous soutenons pour les Régionales à venir ont choisi le beau nom de Temps des Cerises !

Les historien·ne·s cité·e·s ci-dessous s'accordent à juger nécessaire la commémoration d'un événement qui n'a pas concerné que la capitale et dont on découvre bien des aspects en rapport direct avec nos préoccupations de temps incertains.

 

BANTIGNY Ludivine, La Commune au présent. Une correspondance par-delà le temps, Paris, La Découverte, 2021

GODINEAU Laure, La Commune de 1871 expliquée en images, Paris, Seuil, 2021

La Commune dans Paroles d'Histoire (podcast sur les livres, la recherche et les débats en histoire) avec Michel Cordillot & Julien Lucchini

Destins de communards, dans le Cours de l'Histoire (France Culture) avec Michel Cordillot, Jean-Louis Robert & Raphaël Meyssan

Comme un espoir mis en chantier, débat à l'Institut d'Histoire Sociale C.G.T., avec Michèle Audin, Ludivine Bantigny, Roger Martelli

Les écrivains face à la Commune, article d'Hélène Combis (France Culture) citant Martine Lavaud, historienne de la littérature

 

 

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