La fin du blocus de Cuba
est-elle possible ?



Chaque année depuis 1992, l’Assemblée générale de l’Organisation des Nations Unies vote une résolution réclamant la fin du blocus américain imposé à Cuba depuis 1962 ; rituellement, les États-Unis ont toujours voté contre... sauf une fois !

Cette survivance de la Guerre froide trouve son origine dans une riposte de Kennedy, le 3 février 1962, aux nationalisations de compagnies U.S. décidées par Fidel Castro, dont la révolution avait chassé le gouvernement corrompu de Batista, puis contré l'invasion de la Baie des Cochons (préparée par la C.I.A.) il y a juste 60 ans. L’« embargo » interdisait tout commerce entre U.S.A. et Cuba.
En fonction du climat international, le blocus a plusieurs fois été desserré  (ex. pour les voyages par Carter et Obama) ; mais il a été aggravé sous George H. Bush (caractère extraterritorial des sanctions), Clinton (loi d'exception "Helms-Burton" sur leur rétroactivité et leur intangibilité), George W. Bush (limitation de la durée des voyages et de l'envoi d'argent aux familles cubaines). Depuis les années 2 000, il a été assoupli, les U.S.A. devenant même les premiers fournisseurs de produits alimentaires de l'île, même si de graves pénuries demeurent, liées certes à la fin des relations commerciales privilégiées avec l'ex-URSS, mais aussi à un embargo plus "ciblé".

C'est en 2016, sous Barack Obama, que les États-Unis se sont pour la première fois abstenus (ainsi qu'Israël) lors du vote annuel de l'O.N.U. sur la fin de l'embargo, sous les applaudissements de la communauté internationale. L’Assemblée générale avait alors adopté la résolution contre le blocus à la quasi-unanimité de ses 193 membres (191 voix pour). L'ambassadrice U.S. aux Nations Unies avait même prononcé un aveu d'échec : « La politique américaine d’isolement (…), au lieu d’isoler Cuba (…), a isolé les États-Unis ». Les relations diplomatiques ont été rétablies entre les deux pays, sous la forme de missions de chargés d'affaires.
Mais la levée de l’embargo est du ressort du Congrès américain, dominé alors par les républicains. Obama a donc dû se contenter d'annoncer des allégements de sanctions, afin notamment de faciliter les échanges dans la recherche médicale et l’achat de cigares et de rhum cubains à l’étranger... avant de quitter le pouvoir.

Les débats sont inévitablement pollués par la question des Droits humains. Les partisans de l'embargo trouvent argument dans la "répression" des opposants par le régime, les adversaires de l'embargo accusent l'impérialisme U.S. d'exercer un "chantage illégal" contre un peuple entier. Nous pensons que, si le régime cubain n'a pas toujours été un modèle de démocratie, la campagne en cours pour la levée du "bloqueo" n'a pas besoin de jouer dans ce registre pour exiger la fin d'une aberration politique, économique et sociale qui a provoqué assez de souffrances. En tout cas, la France, membre ou non de l'OTAN, ne s'est jamais laissée embarquer dans le blocus.

La présidence Trump a été catastrophique : interdiction des escales à Cuba pour les croisières U.S., "liste noire" pour des entreprises et dirigeants cubains, poursuites contre des entreprises étrangères présentes sur l’île… Des diplomates U.S. ont même été "rapatriés" en tant que "victimes d'attaques soniques" (sans doute des grillons !), et des diplomates cubains expulsés.
L'embargo a été durci pour la santé. Près de 80 % des brevets de ce secteur sont déposés par des multinationales américaines, et Cuba ne peut en bénéficier. En avril 2020, au cœur de la pandémie de Covid-19, Washington a bloqué un envoi de matériel médical chinois vers l'île, tout en condamnant les missions de médecins cubains à l'étranger ("brigades Reeve"). Dernière provocation : 9 jours avant la fin de son mandat, Trump a décidé le retour de Cuba sur la liste des "pays soutenant le terrorisme", suscitant l'incompréhension de presque toutes les chancelleries (l'U.E. va demander le retrait de cette désignation)... Remarquons que Trump a obtenu le 3 novembre la majorité (donc 29 de ses 232 grands électeurs) en Floride, où le vote des Cubano-Américains exilés est décisif.

Cependant, la présidence de Joe Biden ne sera pas forcément celle de la levée de l'embargo... Certes, il n'a fallu que quelques jours à la nouvelle administration pour alléger les restrictions de voyages vers l'île. Mais sa majorité est bien courte au Sénat, et plusieurs élus démocrates (surtout dans le Sud) sont très hostiles à Cuba. La réforme monétaire récente du président Díaz-Canel (qui accroît les tensions sociales dans l'île) va dans le sens d'un rapprochement souhaité avec Washington, mais ne garantit rien. Biden ne s'est pas encore engagé clairement pour la fin du blocus.

Cette année 2021 est décisive. Dans la situation dramatique que connaît aujourd'hui l'économie de l'île, et au moment où les Cubains montrent l'exemple en matière de savoir-faire médical (avec leur vaccin anti-Covid Soberana 2) et de solidarité internationale (avec les brigades médicales Henry Reeve), les amis de Cuba, recrutés dans des milieux de plus en plus variés (France Cuba 21 a constaté beaucoup de sympathie parmi les passants lors d'une campagne de pétitions contre le blocus le 27 mars), veulent croire qu'un vote au Congrès mettra fin à l'embargo. Jamais l'espoir d'obtenir enfin la levée de ce blocus inhumain n'a été aussi vif.

 

Nous accueillons ce mois-ci sur notre site une page transmise par France Cuba 21 sur le blocus et les brigades Henry Reeve

Tribune (publiée dans Libération) par Jean-Pierre Bel, François Lambert, Fabien Roussel et Stéphane Witkowski

Article de La Croix : Cuba accuse l’embargo américain d’entraver sa lutte contre le coronavirus

Difficultés et enjeux d'une éventuelle levée du blocus : interview de la chercheuse Janette Habel dans Libération

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