Interview : les femmes et le travail



Pour cette interview, nous avons rencontré à l’occasion de la journée internationale des droits des femmes du 8 mars 4 Quetignoises :
Fatma, qui travaille dans une entreprise de nettoyage
Lucia, cadre au Parquet de Dijon
Céline, infirmière au C.H.U.
Isabelle, vendeuse dans un magasin de vêtements.

Qu'est-ce qui vous a amenées au travail que vous avez aujourd’hui ?
Fatma : Je fais du ménage depuis 1989 : après un C.A.P. d’employée de bureau en 1979 et un niveau bac secrétariat, j’ai enchaîné plusieurs CDD (Centre de Tri, La Poste, Centre de santé publique…) ; devenir agent d’entretien m’a permis d’avoir un travail stable et de nourrir mon gamin.
Lucia : Après une fac de droit, je me suis spécialisée en droit des affaires pour travailler dans les assurances (en droit corporel et droit des victimes), où j’ai passé 10 ans. Récemment, j’ai accepté une place au Parquet de Dijon.
Céline : J’ai 43 ans, je suis infirmière depuis 22 ans, je travaille à l’hôpital d’enfants du CHU de Dijon, un monde très féminin ; j’aime beaucoup mon travail auprès d'enfants et leur famille. J'apprécie de vivre non loin du CHU car mes trajets pour le travail sont rapides.
Isabelle : J’ai 36 ans, j’ai fait des études de psycho et de management, j’ai commencé dans le magasin où je suis il y a 6 ans, comme vendeuse puis comme manutentionnaire, et en octobre j'ai signé un contrat "gestionnaire de flux". Ici aussi, il n’y a que des femmes.

Que pensez-vous de vos conditions de travail, des salaires, des horaires, de l’ambiance au boulot ?
Fatma : Mes horaires me conviennent très bien : 1 h le matin, 3 h l’après-midi ; je peux faire mes courses et mon ménage. Je m’entends très bien avec ma collègue, on s’entr’aide.
Lucia : La hiérarchie au ministère de la justice est traditionnellement stricte, mais les personnes avec qui je travaille font évoluer la situation. L’ambiance est très bonne, car c’est un milieu où on comprend les notions de parité et d’équité ; tout se fait en bonne intelligence.
Céline : Je travaille à plein temps ; mes horaires en journée (8 h 45 - 16 h 15) sont très bons pour la vie de famille, mais j’ai peu de temps pour moi. L’ambiance au travail est très bonne, l’équipe est sympa, j‘ai régulièrement des formations. Avec plus de 20 ans d’ancienneté, mon salaire est correct. Je n’ai pas de spécialité, mais mon expérience en pédopsychiatrie n’est pas reconnue en termes de salaire. On vient d’être augmenté de 183 € par mois, mais ça n’a pas vraiment changé ma vie : j’avais besoin de cet argent. Compte tenu de notre durée d’études et de nos responsabilités, nous sommes moins payées que dans le privé, mais j’ai la sécurité de l’emploi (ce n’est pas le cas des nouvelles venues, en C.D.I. sans statut de fonctionnaire). Les conditions se sont dégradées depuis quelques années.
Isabelle : Mes horaires – du lundi au vendredi – me conviennent très bien (certaines de mes collègues travaillent le week-end et les jours fériés) ; mes tranches horaires sont plutôt moins fatigantes que celles d’autres personnes de mon entreprise, qui ont une amplitude horaire 8 h - 20 h. Pour le salaire, ça fait mal ! On commence au SMIC, et on ne progresse qu’avec l’ancienneté (on peut espérer une petite augmentation par an) ; j’ai un peu plus car je suis agent de maîtrise, mais ce n’est vraiment pas terrible du tout compte tenu de mes responsabilités. De toute façon, le COVID est une catastrophe pour le commerce. C’est très dur !... Il est vrai que depuis que les grandes surfaces ont fermé, ça tourne. Mais ces coups d’arrêt et de reprise sont psychologiquement fatigants, de même que les protocoles à respecter.
Sinon, avec les collègues, ça va. Comme il n’y a que des femmes au magasin de Quetigny, c’est beaucoup de blabla ! Mais ça serait bien qu’il y ait un peu de mixité…

Quelles sont vos relations avec votre hiérarchie ?
Fatma : Mes conditions de travail se sont bien améliorées depuis que mes responsables me laissent tranquille. Je les ai emmenés aux Prud'hommes et je n’ai pas eu de nouvelles depuis le début du COVID il y a un an. Ils sont devenus tout gentils, me sollicitent et m’approuvent à tout propos.
Céline : Je suis surtout en lien avec ma hiérarchie directe, le cadre de santé, avec lequel la communication est plutôt simple.
Isabelle : Pour la hiérarchie, nous, c’est une entreprise familiale ! Le tutoiement est obligatoire à tous les niveaux… D’ailleurs, passer du vouvoiement au tutoiement, c’est dur, surtout avec les dirigeants ; j’en ai rencontré certains. Ça se passe plutôt bien, c’est familial.
Familial ou démago ? Familial ! (rires).

Et que peut-on attendre des syndicats ? Est-ce que le syndicalisme existe et joue un rôle ?
Fatma : Dans mon entreprise, il y a un syndicat, mais qui me semble être plutôt du côté du patron que des employés !
Céline : Au CHU, les syndicats n’ont pas un énorme pouvoir, mais font remonter nos arguments et sont entendus par la direction ; j’ai un bon contact avec deux membres de syndicats différents, je n’hésite pas à les solliciter.
Et sur les droits des femmes, avez-vous le sentiment que les syndicats interviennent ?
Isabelle : Je n’en ai jamais entendu parler dans mon entreprise…
Céline : Je suis fonctionnaire, et il y a une équité, avec des grilles de salaire ; hommes et femmes peuvent accéder aux mêmes postes ; je n’ai jamais eu dans ma carrière de souci en tant que femme. Je n’ai pas à négocier mon salaire.

Question un peu plus sensible : est-ce que vous avez été victimes de harcèlement ou eu des témoignages de personnes victimes de harcèlement, professionnel ou sexuel ?
Lucia : Dans mon ancienne boîte, il y a 5 ans, en tant qu’inspectrice corporelle (personne qui indemnise et défend les assurés), je me déplaçais au domicile des victimes et j’ai eu affaire à un pervers. J’ai eu beaucoup de mal à sortir de chez lui, et lorsque j’en ai référé à ma hiérarchie, la première réponse a été – de la part d’une femme, pourtant – « C’est normal, vous étiez en jupe » ! Je me suis rebellée, elle s’est rétractée. Mais mes collègues hommes ont tellement insisté à leur tour sur ce point que, pendant les mois qui ont suivi, je n’ai plus porté de jupe pour éviter les remarques. Quelque temps après, j’ai fini par m’habiller comme je voulais !
En tout cas, Fatma, ce que tu as vécu jusqu’à l’année dernière, c’est du harcèlement…
Fatma : Oui, j’ai eu des problèmes il y a deux ans :on m’a harcelée pour accroître ma charge de travail, soi-disant pour l’équilibrer avec ma collègue. J’ai refusé, et n’ai guère été soutenue par une déléguée syndicale. Mes employeurs ont voulu profiter de ma situation difficile, seule avec un ado à élever ! Ils voulaient ma place pour la donner à quelqu’un d’autre, payé moins cher et plus docile. Mais quand j’ai pris un avocat et suis allée aux Prud’hommes, ils m’ont laissée tranquille. Depuis, le COVID est arrivé, il n’y a plus autant de monde dans le bâtiment : j’ai pu continuer comme avant sans que plus personne ne me fasse des remarques. Il y a toujours du travail, mais on peut s’organiser nous-mêmes.

Comment arrivez-vous à concilier vos vies familiale, professionnelle et personnelle, surtout dans cette période difficile ?
Fatma : Le confinement m’a bien affaiblie. On se sent programmée, sous pression, on doit gérer toutes ses contraintes familiales, domestiques, professionnelles dans l’urgence, avant 18 h. On n’a plus le temps de penser à soi, plus l’esprit libre pour pouvoir écrire, créer… J’ai commencé à faire de la poésie en seconde ; j’aimais la littérature. Je lisais les classiques pendant que mes camarades sortaient en boîte ! Ma prof corrigeait mes poèmes, et m’encourageait à continuer. En 88, j’ai publié deux recueils grâce à une association du Nord de la France, puis 3 autres à compte d’auteur. D’ailleurs, j’ai apporté un poème que j’ai écrit pour la journée de la Femme en 1998 : Femme, liberté !
(à lire ici)
Cela a été aussi difficile avec mon fils… Quand on a eu recours à l’aide aux devoirs, il était en préadolescence, je devais jouer le rôle de la mère et du père ; il n’acceptait pas mon autorité, ne respectait pas les consignes, n’écoutait que les copains. Maintenant, il a 16 ans et il s’est calmé ; il est plus posé, il réfléchit ; je lui donne l’exemple de ses tantes et oncle à Paris, qui gagnent bien leur vie, et je lui dis : « tu choisis ! »… Heureusement, il a eu son Brevet avec mention Bien. Il est bien encadré.
Lucia : Quand on a des enfants, l'équilibre est difficile à trouver entre l'envie de s’épanouir et les "charges". J’adore ce que je fais, je ne pourrais pas rester à la maison, mais je voudrais donner plus d’attention à mes enfants.
Céline : Je suis toute seule. C’est vrai que mon rêve serait le travail à 80 %, mais je suis à l’équilibre, je n’ai pas envie de renoncer à une partie de mon salaire. Je donne toujours la priorité à mes enfants et au temps passé ensemble, donc le ménage et le rangement de la maison s'en ressentent parfois un peu...
Isabelle : J’ai de la chance de pouvoir être là avec mon fils pour les devoirs ! Je me rappelle, lorsque j’étais dans la vente, je le mettais à la garderie, il n’y avait pas d’aide aux devoirs… et quand je rentrais à 20 h, je devais faire les devoirs avec lui alors que je n’en avais pas envie après une longue journée de boulot. Une catastrophe !
Je ne me plains pas, j’ai une meilleure vie maintenant. Avant j’étais à 25 h par semaine, je gagnais 850 € par mois, c’est pas des masses ! Avec 35 h, je gagne 500 € de plus ; donc, ça roule, et j’ai de la chance d’avoir un fils assez facile (rires).
On verra comment ça va tourner après ! L’année prochaine, c’est le collège, j’ai un peu peur de ça… Je suis une maman d’un gamin de 10 ans qui l’accompagne encore au parc et qui ne le lâche pas de vue. Et puis, ils n’ont rien pour s’occuper !
Céline : Je trouve qu'il y a une offre intéressante pour les familles de Quetigny au niveau sport, loisirs culture... sauf en ce moment à cause de la Covid... Cependant il faut effectivement faire la démarche d'y aller, de s'inscrire... En tant que parents c'est notre rôle d'accompagner nos enfants dans ces domaines selon nos envies, nos valeurs...
Fatma : On a quand même une part de responsabilité…
Isabelle : Oui, mais quand ils sont sur le chemin de l’école, on ne peut pas être tout le temps derrière eux.
Céline : J'essaie d'autonomiser mes enfants le plus possible, en essayant de les protéger, en les mettant en garde sur certaines choses sans pour autant créer un climat anxiogène qui serait bien sûr délétère.

Quelles difficultés rencontrent vos enfants dans la ville ?
Lucia : Pour moi, la commune a un rôle à jouer sur la tranquillité d’un point de vue général, pas sur l’éducation (qui est le rôle des parents). Mais quand des parents ont des carences, elle intervient sur les signalements et met en place des actions d’accompagnement des parents. La commission Solidarité du Conseil municipal, se référant à un rapport de la Passerelle, a noté l’insuffisance des activités inclusives. Dans les prochains mois doivent se mettre en place des activités au parc du Grand Chaignet pour amener la population à participer. S’inscrire ou accomplir la démarche de voir un spectacle n’est pas dans les habitudes de tous. Au début, il faut être accompagné… et c’est ce qui pêche un peu au niveau de la commune. Quetigny a été précurseur sur beaucoup de choses, notamment sur la Culture ; mais il ne faut pas la cantonner à ceux qui ont envie de participer ! Il faut inclure ceux qui n'ont pas l'habitude de participer et leur donner envie.
Céline : J'ai eu l'occasion de participer à une chasse au trésor sur le thème "Halloween" proposée aux enfants de Quetigny, et j'ai été gênée par les propos grossiers et des attitudes inadaptées de certains enfants sans que cela soit repris par les adultes en présence. J'ai pu échanger sur cela avec une responsable de la Passerelle.
Isabelle : Pré Bourgeot et Aiguisons, c’est une catastrophe ! Mon fils me parle de choses que j’ignorais ; c’est très grave ! Un jour, mon fils rentre de l’école avec un hématome sur l’épaule. Il a pleuré. le gamin qui l’a frappé n’a pas été puni. « C’est pas grave, c’est normal », ai-je entendu.
Céline : Ce qui manque à Quetigny, ce sont les boîtes à livres. Il y en a à Dijon. Ici, rien place centrale ni aux allées cavalières. j’ai repris la lecture depuis peu. Avant j’allais à la bibliothèque, maintenant j’échange avec mes collègues et j’utilise les boîtes à livres à Dijon. Il faudrait en mettre place centrale, dans chaque quartier, et près des écoles.

En faire une en béton place centrale ! (rires).
Quelles sont vos AUTRES attentes par rapport à la municipalité, à la ville ?
Céline : Mes enfants sont scolarisés à Quetigny , on fréquente les mêmes lieux et activités. Moi, je ne me sens pas en insécurité, mais je ne veux pas de violence contre mes enfants. C’est légitime ! Je ne veux pas qu’ils aillent à l’école la boule au ventre. Au collège, je serai hyper-vigilante pour qu’ils ne se fassent pas agresser…
Fatma : Mon fils va à l’espace jeune ; il y a des éducateurs, mais il devrait y en avoir plus. Ceux qui travaillent avec la mairie se soucient vraiment des jeunes en leur proposant des activités intéressantes (ex. ski, camping). Il faudrait un endroit où ils peuvent se rencontrer, se voir, partager. Parfois ils restent sur des bancs, dérangent les habitants... Il vaudrait mieux un lieu où ils seraient encadrés.
Isabelle : Comme une M.J.C.

Avez-vous des activités associatives ou politiques sur la ville ?
Toutes : Pas le temps !
Et quelques activités politiques ?
Céline : J’aimerais bien m’investir, mais je n’ai pas le temps. Le soir, je rentre, je prépare le diner, on fait les devoirs, on mange, puis c’est la douche, et je me couche à 21 h… à 43 ans ! (rires).
Isabelle : J’ai décroché, j’ai eu pas mal de soucis personnels, je suis actuellement en formation. Plus tard, peut-être…
Fatma : 3/4 d’heure pour aller au travail, même chose au retour. j’en profite pour lire.

Nous célébrons le 8 mars ; selon vous, les droits des femmes ont-ils progressé ces derniers temps ?
Céline : Ça dépend des milieux. Une femme qui travaille a plus de liberté, d’autonomie. J’estime que j’ai les mêmes droits que les hommes. À titre personnel, je ne sens pas de différence avec les hommes.
Fatma : Je travaille pour être indépendante, pour pouvoir évoluer. Les femmes d’origine maghrébine acquièrent le statut de femme libre par le travail et par les études, comme toutes les autres femmes, d'ailleurs.
Isabelle : Je n’ai pas de souci avec cette question. Je progresse dans mon évolution professionnelle, donc ça va.
Lucia : Lors des élections, la parité m’a dérangée. Elle s’impose à nous, on nous dit : « On vous laisse la place, il FAUT la prendre ». On n’a pas vraiment le choix. Ça vous choque peut-être, mais pour la constitution de la liste, le fait d’alterner un homme/une femme donne l’impression d’être en rang, comme à l’école !
Céline : Même si c’est un peu rigide, il faut en passer par là. Sinon, ça ne se ferait pas, c’est comme pour les minorités. Je fais le parallèle avec le cinéma, les minorités visibles : la question ne se pose plus : grâce aux quotas, il y a des noirs, des blancs, des arabes, des asiatiques, c’est normal !
Pour ma participation aux municipales, c’est pareil : si la parité n’avait pas existé, je n’aurais pas été contactée, je ne serais pas sur la liste, et pourtant je m’intéresse à la politique, j’ai toujours baigné dedans ; papa encarté au PS, j’ai toujours voté depuis mes 18 ans. La parité a été l’opportunité de faire de belles rencontres, de voir qu’il y avait autre chose, une alternative à l’équipe en place depuis de nombreuses années.
Fatma : Quand j’ai passé mes examens, il n’y avait pas beaucoup de femmes qui travaillaient dans les banques, les commerces... Moi, j’étais souvent au chômage. J’ai fait de nombreux travaux, j’ai passé le BAFA, j’ai travaillé en milieu scolaire, je n’ai pas réussi à avoir un emploi fixe : ce n’était pas entré dans les mœurs d’embaucher une femme arabe. Ça a évolué, mais il a fallu du temps. je vois des femmes d'origine maghrébine dans les banques, les commerces, c’est génial !

Merci à toutes les quatre pour vos témoignages, vos idées et votre sincérité !

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