L'interview du mois : rencontre
avec 7 jeunes, étudiant·e·s à Dijon

Ils nous parlent des actions de solidarité qu'ils mènent sur l'agglomération, mais aussi de leur situation d'étudiants confinés et de leurs attentes. Nous avons rencontré :
Ismaïl, en 5ème année de pharmacie et originaire de Quetigny, qui a participé à la création de l'association « Jeunesse citoyenne de Quetigny »
Loukmane, de Chalon, en 3ème année de médecine
Ossama, de St Claude (Jura), en licence pro en alternance marketing opérationnel à Quetigny
Aymane, de Dijon, en BTS "méthodes exploitation logistique"
Inès, d'un village à côté de Chalon, en 3ème année de médecine
Estelle, de Dijon, en 2ème année d'IAE (École universitaire de management)
Amine, de Saint-Claude, en 2ème année d'IAE , et président de la toute jeune association « Instants de rêve ».


Qu'est ce que l'association « Instant de rêve » ?

Amine : 4 jeunes ici présents en font partie. Elle regroupe une quarantaine d'étudiants, la majorité n'est pas de Dijon. On fait des maraudes : on visite des foyers, des squats, on apporte de la nourriture, des vêtements, on s'adresse à tout public qui en a besoin.

Comment vous avez eu l'idée de ces actions ?

Estelle : Le 19 décembre, il y avait une maraude organisée par des étudiants. On s'est dit : « pourquoi pas ? ».
Ossama : On m'a demandé de faire les affiches, et j'ai eu envie de participer et de proposer à d'autres. On a ensuite vu qu'on était tous motivés.
Amine : J'avais cette idée depuis longtemps. C'est tout un cheminement, on s'est dit « c'est le moment ». À la fin de la maraude, on a tous eu envie de continuer et on n'a pas lâché. On a eu envie de structurer la chose.
Amine : On a tous besoin de renouveau, car les cours à distance c'est pas très motivant !
Ismaïl : Plusieurs membres de l'association Jeunesse Citoyenne de Quetigny étaient également présents le 19 décembre. Nous avons apporté notre contribution et fait connaissance avec l’ensemble du groupe. Nous avons fortement apprécié ces élans de solidarité de la part d'étudiants qui ne sont pas de Dijon (pour la majorité d’entre eux), ce qui nous a d’autant plus motivés pour leur prêter main-forte.

Comment vous vous financez ?

Estelle : c'est varié, il y a de tout. Au début, tous les membres donnent ; énormément de choses viennent de chez nous, par exemple les habits qu'on donne. On a tout type de dons, nourriture, vêtements, etc.
Amine : Et il y a des cagnottes en ligne, on se débrouille.

Et vous êtes bien accueillis ?

Tous : Oui ! Et ça permet de changer les idées !
Ossama : Mais il faut y aller avec des pincettes, ne pas être envahissant, prévenir, respecter les mesures sanitaires. On va voir surtout des réfugiés.

Et comment vous vivez la situation actuelle de confinement ?

Estelle : Moi, personnellement, je le vis bien, je pense que c'est grâce à ça justement. Je me suis adaptée aux cours à distance, mais là j'ai toute une vie avec de vraies personnes.
XXXX : Moi, je n'aime pas les cours à distance !
XXXX : L'école, c'est toute une vie, c'est les dernières années où on peut en profiter... Les études, c'est les belles années. On n'a pas de chance : on n'a pas de culture, on n'a pas de sport... D'ailleurs, on voulait proposer des sorties aux enfants, mais tout est fermé !
Ismaïl : À ce propos, un rassemblement étudiant a eu lieu récemment au niveau du campus, avec différentes revendications, dont notamment le désir de reprendre les cours en présentiel.
Inès : Dans mes études, il y a énormément de temps de révision. Depuis 4 ans, je m'étais bien organisée pour être en concentration optimale et donner le meilleur de moi-même. Tout a été chamboulé. J'ai été angoissée, je me retrouvais dans un cercle vicieux, je tournais sur moi-même, j'avais pris beaucoup de retard : j'ai passé les partiels de décembre dans une angoisse pas possible, avec la peur de ne pas valider mes examens ! Avant, je faisais du sport, je travaillais à la bibliothèque avec des horaires bien fixes. Mais tout a été chamboulé, même mon alimentation. J'ai une grande famille, on se voit souvent, mais là je n'ai pas pu retourner chez mes parents. Tout ça a porté préjudice à la qualité de mes études.
Et là, les cours n'ont pas arrêté, on a une charge de travail comme si tout était normal. Il n'y a aucune considération pour l'impact psychologique, surtout en médecine où c'est très dur.
On est en stage tous les matins.
Loukmane : Mais il y a eu des coupures dans les stages, deux fois on n'a pas terminé.
Inès : L'an prochain, c'est l'externat. La 3ème année nous y prépare, on apprend à concilier l'hôpital et la vie universitaire, mais là, on est perdu. Normalement, en 3ème année, on a acquis énormément de choses, par ex. faire / lire un ECG, mais nous on ne sait rien faire. À cause des coupures dans les stages.
Loukmane : En 1ère année, il y a eu une réforme. Les 1ère année n'ont pas eu leur classement du 1er semestre, donc ils ne savent pas où se situer, ils ne savent pas quoi choisir comme spécialité, ils en ont plus qu'avant. On dit que ce n'est plus un concours mais un examen, mais ce n'est pas vrai. Ils sont perdus, il y a eu des suicides à la Sorbonne il y a 2 ou 3 semaines, à cause de ça, réforme plus Covid.
(NDLR : Inès et Loukmane encadrent des étudiants de 1ère année. Ils sont bénévoles, et le font car eux-mêmes ont bénéficié de cet encadrement qui les a aidés à réussir.)

Et qu'est ce que vous souhaitez, qu'est ce qui vous paraît important en ce moment ?

Tous : Le retour en cours !
Amine : Surtout qu'à l'école, les consignes sanitaires sont bien respectées. Je trouve que l'organisation des classes, ça va.
Loukmane : Le 1er confinement, ça a été un coup de massue ; pendant une semaine, je n'avais pas la force de travailler. Même maintenant, je ne retrouve pas mon organisation d'avant, car psychologiquement, le fait de s'habiller et d'aller en cours, ça impose un rythme.
Ismaïl : Une des demandes qui revient de façon récurrente, chez une grande partie des étudiants, est, comme on l’a évoqué précédemment, la reprise des cours en présentiel. D’ailleurs, j’ai pu échanger personnellement à ce sujet avec des représentants de l’association des étudiants de pharmacie, et ils vont également dans ce sens.
Ossama : En septembre, ça allait, on avait retrouvé le goût de la vie. Et là, je ne comprends pas pourquoi on ne peut pas aller en cours.

Pourtant certains continuent d'aller en cours : classes préparatoires, BTS ?

Ossama : On n'est pas considéré. Le nombre de cas ne baisse pas alors que les facs sont fermées. Je ne comprends pas qu'on mette tout un pays en péril, les étudiants qui se suicident, on n'a pas de vrais chiffres, mais c'est des chiffres qui n'ont jamais existé !
Inès : Même sans parler de suicide, le décrochage scolaire ! Les classes se vident de moitié.
Loukmane : J'ai des amis de 3ème année que j'admirais, qui étaient très assidus, sérieux, et qui ont décroché ! Ils n'ont plus la volonté de travailler.
Inès : Je me sens comme une déscolarisée, chaque jour ça se répète... J'essaie de travailler tous les jours, de réviser tous les jours...

Est-ce qu'il y a beaucoup d'étudiants malades du Covid ?

Ossama : On n'a pas le sentiment qu'il y en ait beaucoup. J'ai plus entendu des jeunes en dépression que de malades du covid.
Ismaïl : Je suis actuellement en stage en service de médecine intensive réanimation, et le moins que je puisse dire à mon niveau, c’est que le plus souvent les patients « covid » qu’on a dans notre service sont des personnes d’un certain âge et qui sont polypathologiques.

Est-ce que vous pensez vous faire vacciner ? Si on vous dit : « vous vous faites vacciner et on ouvre les facs » ?

–  Tout dépend des conditions.
–  J'ai pas confiance, tu peux quand même transmettre le covid. Je ne sais pas si le vaccin va contrôler la maladie. On ne sait pas si ça a de l'effet sur les nouveaux variants...
–  On n'est pas chaud, on n'a pas assez d'information.
–  Cela a été mis en place pour les cas graves, pour alléger la réanimation.
–  Ils vont nous l'imposer indirectement...

Votre principale demande, c'est de retourner en cours : comment vous voyez ce retour ?


Loukmane : Je vois pas comment on peut faire plus que ça. En début d'année, c'était très bien organisé, avec des sièges mis hors service, avec un roulement.
XXXX : C'était très bien comme ça, avec des demi-groupes, des sens de circulation.
Ismaïl : D’après ce que j’ai pu entendre à ce propos, les revendications des étudiants rejoignent de manière générale les revendications du reste de la population : réouvrir les salles de sport, les restaurants, etc. En clair, tout ce qui favorise la vie sociale.

Les restaus U sont ouverts ? Les repas à 1 € au CROUS, ça marche ? Et vous savez si les étudiants ont des problèmes pour s'alimenter ?

–  Au restau U, c'est repas à emporter. Et ça marche, il y a même des sacrées files d'attente !
–  Moi, j'y vais tous les jours.
Ossama : L'autre jour, je suis passé sur France 3 avec une dame du Secours Catholique ; elle m'a dit que ces derniers jours, beaucoup d'étudiants leur demandent pour faire du bénévolat et pourquoi pas ? avoir un petit billet. Ils ont perdu tous leurs petits boulots qui les aidaient...

Des mesures d'aide ont été votées par la Métropole, vous en avez entendu parler ?

XXXX : C'est un peu le problème de l'État actuel, il parle beaucoup en chiffres, mais le peuple, il s'en fout des chiffres. On donne 30 000 € d'aide ici, 40 000 € là, mais en ce moment, on veut du concret. Les gens d'en haut ne savent pas ce qui se passe en bas.

Qu'est ce que vous pensez du fait que le gouvernement ne veut pa mettre en place un RSA jeunes, mais des aides à l'emploi ?

Inès : Je ne peux pas me permettre de travailler, car sinon je ne pourrais pas faire mes études. J'ai 103 € de bourse par mois. Parce que mon père a eu une fois une prime, et que ça a baissé ma bourse. Avec les études de médecine, je ne peux pas travailler à côté. Et j'ai 150 € de loyer au CROUS. J'ai demandé un traitement de faveur au CROUS, ils n'ont rien voulu savoir. Le salaire arrive à partir de la 7ème année. J'ai dû faire un crédit de 10 000 € pour payer mes études. En externat (en 4ème année), on sera payé 200 € ! C'est très compliqué, en début d'année je me serrais la ceinture. J'ai 3 petits frères et sœurs, je les mettais en difficulté, j'ai dit à mes parents qui essayaient de m'aider : « je vais faire un crédit ». C'est triste de se dire : « j'ai 21 ans et j'ai déjà un crédit »...
On cherche à s'en sortir, à faire des études ambitieuses, à sortir la tête de l'eau, à ne pas connaître forcément la vie que nos parents ont eue, mais c'est très difficile !
Estelle : Moi j'ai de la chance, j'habite à Dijon, je suis toujours chez mes parents et j'ai le temps d'avoir un petit travail à côté. Je travaillais à la Toison d'Or, le magasin a fermé. C'est compliqué pour trouver. Au 2ème confinement j'ai trouvé dans une agence de baby sitting, ça marche comme l'intérim, on m'appelle quand ils en ont besoin. Je travaille 40 heures dans le mois ou zéro. Les horaires et les revenus ne sont pas réguliers. C'est difficile de s'organiser.
Loukmane : On a une amie en médecine qui travaille de nuit comme aide-soignante, je ne sais pas comment elle fait, elle cumule tout, le travail, les cours, les révisions...

Et comment vous voyez l'avenir ?

Estelle : Incertain ! Je voulais faire Erasmus en Italie, j'ai été prise, j'allais partir, mais il y a eu le confinement donc j'ai annulé. J'ai recandidaté, mais il me reste 10 jours pour décider de partir en Espagne en septembre, 10 jours, et après c'est annulé ! C'est dur de décider !
XXXX : J'ai une seule question : Est-ce qu'un jour on va reprendre la vie d'avant ? Plus le temps passe, plus il y a du désespoir.
Inès : On a l'impression d'un gouffre sans fin ! À peine on arrive à voir la lumière, ça recommence.
XXXX : C'est un peu ce qui s'est passé en septembre : on s'est dit : « ça y est, on va reprendre une vie normale », on avait de l'espoir, mais c'est fini.
Ismaïl : Selon moi, le point positif à retenir est avant toute chose cette vague spontanée d’actions de solidarité, notamment via des structures comme celles-ci (associations étudiantes entre autres) ; mais globalement, l'avenir reste extrêmement flou.
Amine : Même nous pour les associations, la future nouvelle vague éventuelle, ça nous bloque dans nos projets.
Ossama : Ça donne une bonne image. Ça montre que nous les étudiants, malgré qu'on est dans une difficulté réelle, on se pousse, et on est motivé aussi !

Déjà dans le 1er confinement, il y a eu des actions de solidarité, mais vous êtes peut-être plus organisés maintenant ? Cela apparaît plus organisé...

Ismaïl : Avec l'association Jeunesse citoyenne de Quetigny, des actions de ce type étaient déjà menées depuis un certain temps. C'est initialement un mouvement collectif spontané, qui a débouché ensuite sur une véritable organisation, plus structurée. Ceci n’est pas la vocation première de notre association, c'était également une façon de montrer aux plus jeunes d’entre nous un certain « exemple » en les faisant participer directement. Ces actions ont été très appréciées par les bénéficiaires d'une part, et cela a été par ailleurs très gratifiant pour nous en retour.

C'est important de le faire savoir, à Quetigny :

C'est vrai que localement, il se disait beaucoup de choses après l'été qui a été un peu agité à Quetigny, mais aussi à Chenôve. Mais on est là aussi pour ça, pour donner une autre image que ce que l'on connaît d'habitude. Ça donne une autre image de la jeunesse !

D'autres choses à ajouter ?

Inès : On demande juste des changements concrets, car à chaque annonce de Jean Castex, c'est « Oui, j'apporte tout mon soutien aux étudiants », mais on en fait quoi du soutien ? on veut des choses concrètes !
XXX : Moi, je ne prends plus la peine de regarder...
XXX : Moi non plus !

Vous avez des amis qui travaillent, qui ne sont pas étudiants ? Comment ça se passe pour eux ?

Estelle : Ils ont beaucoup de difficulté à trouver du travail. Je connais une personne qui était en Espagne, elle a été obligée de revenir, elle cherche du travail désespérément depuis fin août, elle a un loyer sur le dos, elle hésite à repartir. Elle se demande où elle est le mieux, en France ou en Espagne.
Ossama : Moi, je trouve que les entreprises ne jouent pas le jeu (avec les aides à l'alternance - NDLR). J'ai fait plus de 200 demandes pour ma formation en alternance. Sur les 200, j'ai même pas dû avoir 100 réponses ! Sur une classe de 25, il n'y en a que 2 qui ont trouvé, alors que la rentrée était à 1 mois. Oui, les entreprises ne jouent pas le jeu, alors que l'État a fait un pas vers nous, a mis en place une aide. Après, ça n'intéressait peut-être pas d'avoir un alternant, il faut le former... Et oui, il y a aussi de l'incertitude.
Ismaïl : Puisque l’on évoque le travail, j’ai par rapport à ce sujet plusieurs retours d’amis, et notamment par certains engagés dans une association de bienfaisance au niveau du quartier des Grésilles. Ils disposent d’un pôle dédié à l’insertion à l'emploi, et effectivement, ces derniers mois, ils constatent que les procédures sont ralenties à tous les niveaux.


À leur arrivée, et au moment de nous quitter, ces jeunes nous remercient de leur avoir donné la parole :
–  Personne ne nous écoute jamais !
–  En fac, il n'y a pas d'instance pour être écoutés. Les décisions tombent d'en haut.
–  Les syndicats étudiants sont mis devant le fait accompli. Ils font des rapports sur la situation, des demandes, mais ça ne sert à rien.

Fait à Quetigny le 5 février 2021.

Pour aller plus loin :

https://www.infos-dijon.com/news/campus/sur-le-campus/dijon-on-meurt-d-angoisse-et-le-gouvernement-ne-fait-rien-s-indignent-les-etudiants.html

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