À propos de Révolution
(industrielle, française, numérique...)



Le numérique du futur est actuellement l'objet d'âpres batailles, à travers le déploiement de la 5G, tandis que la 6G se pointe déjà à l'horizon. Au-delà de la bataille économique (qui va manger le gâteau ?), environnementale (quels dégâts pour la planète ?) ou sanitaire (quelles conséquences sur la santé ?), l'épidémie du Covid est venue (re)poser la question : une "révolution" pour quoi faire ?

Un objectif : augmenter le débit et donc les connexions

1G et 2G transmettaient la parole, 3G les SMS/MMS, 4G l'internet. La 5G promet les objets connectés et l'internet des objets, la vidéo ultra-rapide, la ville dite "intelligente"... et la circulation de milliards de données (les nôtres).

De quoi parle-t-on à propos de nouvelle révolution industrielle?

Les promoteurs de cette nouvelle technologie nous annoncent une "révolution" qui doit remodeler la société, le travail, le capitalisme, la culture et même la démocratie. Ils la comparent ainsi à la Révolution industrielle, nous imposant son imaginaire pour façonner nos comportements.
Dans la réalité, la Révolution industrielle est un mythe qui s'est construit en opposition à la Révolution française inspirant la peur aux élites : l'une est pacifique, l'autre violente ; l'une est continue, l'autre faite de soubresauts. Ce mythe fait l'impasse sur la violence des luttes que la Révolution industrielle a suscitées, et la violence de la domination qu'elle a exercée en Europe comme dans les régions du monde qui ont été colonisées pour alimenter la machine industrielle. Ce mythe place l'Occident, ses techniques et ses "géniaux" inventeurs au-dessus du reste du monde. Il présente les mutations qui ont eu lieu comme inéluctables. C'est une vision simpliste qui ne dit rien d'un processus compliqué, et qui a varié avec le temps : pendant les Trente Glorieuses, cette image, renvoyée par le mythe de la croissance, est devenue particulièrement valorisante.
Les gains de productivité découlant des techniques deviennent alors le but de toute l'organisation sociale, la préoccupation essentielle de l'économie et des politiques.

Une révolution pour résoudre la crise ?

Nous subissons une crise mondiale, sociale, environnementale, doublée maintenant d'une crise sanitaire aux conséquences immenses. Elle met à mal la démocratie.
Ce constat qui s'impose à tous est repris à leur compte par les entrepreneurs de la révolution numérique, qui nous proposent une véritable révolution industrielle pour faire face aux défis nouveaux qui sont devant nous : la technologie serait la solution à tous nos maux. Surfant sur la quête d'espoir que nous éprouvons tous, ils veulent que nous nous en remettions à de nouveaux "héros", les inventeurs d'un monde technologique que nous ne pouvons pas refuser. Pour cela, il faut formater les esprits, et ceux qui n'applaudissent pas à cette vision de l'avenir, voire la critiquent fortement, sont des "Amish", des rétrogrades. Mais c'est faire l'impasse sur les effets désastreux de cette "révolution" :
• sur les inégalités : un rapport d'Oxfam est sorti le 3 février, rapportant la montée continue des inégalités, que notre monde déjà très connecté n'a pas réussi à endiguer. Des fortunes colossales se fabriquent au fil de la circulation des données et des connexions, en particulier chez les détenteurs des entreprises de ces technologies. Celles-ci pèsent lourdement sur l'emploi, supprimant quantité de postes, et rendant des milliers de travailleurs esclaves d'algorithmes. La révolution numérique de la 5G va mettre des millions de travailleurs au chômage (on prévoit la perte de près de 50 % des emplois aux U.S.A. d'ici 10 à 20 ans).
• sur la démocratie : la surveillance généralisée avec la reconnaissance faciale, la "smart city" et ses multiples caméras de vidéosurveillance vont devenir la norme, sans que les citoyens puissent avoir prise sur ces outils. Les débats actuels sur la loi dite "de sécurité globale" nous fait pressentir le futur d'un gouvernement autoritaire. L'argument de la rapidité dans la prise de décision fera la place belle aux experts, annulant toute volonté de débat démocratique, qui prend nécessairement du temps.
• sur l'écologie : ces technologies consommeront toujours plus de métaux lourds, produits actuellement dans des conditions inhumaines dans des pays africains où les compagnies minières sont peu regardantes sur l'âge et les conditions de travail des mineurs. Elles consommeront toujours plus d'énergie pour établir toutes ces connexions, stocker les données... alors que c'est le contraire qu'il faut faire (voir : les secrets inavouables de nos téléphones - Élise Lucet, Cash investigation).
• sur notre santé : au-delà des controverses sur la dangerosité physique des ondes qui vont circuler, notre santé psychique est en jeu. Toujours plus de rapidité, de disponibilité pour être toujours connecté·e, de normalisation des comportements induits par les machines, va épuiser nos esprits. On voit déjà en germe cet épuisement dans le rapport au travail de nombreu·x·se·s salarié·e·s qui n'en peuvent plus des contraintes que leur impose le numérique.
Pour l'historien François Jarrige, "le secret dissimulé derrière l’annonce répétée de la troisième révolution industrielle" consiste à "éviter les remises en cause trop radicales, résorber les contestations qui s’élèvent en renouvelant l’utopie des technologies salvatrices qui résoudront naturellement tous les problèmes" (JARRIGE François, « Révolutions industrielles : histoire d’un mythe », Revue Projet, 2015/6 (N° 349), p. 14-21. DOI : 10.3917/pro.349.0014. URL : https://www.cairn.info/revue-projet-2015-6-page-14.htm).

Et le Covid dans tout ça ?

Il a fait l'effet d'un révélateur sur l'illusion du numérique comme ultime solution à tous nos maux, dans différents domaines de notre vie. Voici deux exemples :
• L'enseignement : depuis plusieurs années (déjà en 2015, le gouvernement caressait l'espoir de faire des facs connectées, avec des cours à distance d'un bout du pays à l'autre, ce qui permettait des économies de moyens humains et matériels pour améliorer les conditions d'enseignement des facs en France.
"Parcoursup" avait déjà malmené de nombreux jeunes, en laissant certains sur le carreau. Mais le Covid, qui a laissé les étudiants seuls face à leurs écrans, a révélé à quel point ce projet est insensé. Les étudiants, comme les enseignants, ont besoin de se rencontrer "en vrai", et dans de bonnes conditions.
• La médecine : on nous vante l'exploit d'un chirurgien basé à Hong Kong qui pourrait, grâce à la 5G, opérer un patient à Dijon. Mais à quoi cela va-t-il servir si les hôpitaux n'ont pas les moyens d'assurer leurs missions au quotidien, faute de lits, de personnel ?

Le bonheur au bout de la connexion ?

Les promoteurs de la connexion ultra-rapide veulent créer de nouveaux besoins, une attente (tout comme la mise en scène de la sortie du nouvel Iphone, toujours plus "performant") : la 5G serait attendue comme le Messie par les entreprises, les citoyens. Mais qui rêve encore de la 5G ?

La fourchette connectée est par exemple un des nombreux gadgets que produisent des startups en vue de créer des besoins nouveaux : pourquoi avoir une fourchette qui régule le débit de notre repas alors qu'on ne régule pas l'industrie agro-alimentaire qui déverse dans les assiettes des plus pauvres des nourritures fabriquées à base de "produits" aux effets négatifs sur la santé (diabète, surpoids, cancers), comme le montre un excellent film d'Arte.

Et que dire de tous ces objets qui mesurent, comparent les performances, notamment physiques, construisant des citoyens formés à l'esprit de compétition ?

Il est possible maintenant d'avoir des conditions de vie assurant un certain bien-être matériel. Mais à ce jour, tout le monde ne peut pas en disposer, certain·e·s de nos concitoyen·ne·s ont par exemple du mal à se chauffer ou ne disposent même pas d'un logement décent. Quel sens a la production de nouveaux gadgets, alors que certains ne disposent pas de l'essentiel ? Même si on est d'accord avec l'idée que la technique a pu et peut encore améliorer la vie dans certains domaines, le sentiment de bien-être ne peut venir de l'accumulation sans fin d'objets et de techniques.

La 5G nous interroge (comme d'autres techniques dans le passé) sur notre façon d'envisager la technique, de la considérer comme un objet sacré qui ferait des miracles, apporterait des solutions à tous nos maux ou comme un objet dont il faut examiner l'intérêt, la nécessité, et ce qu'elle a comme conséquences humaines, écologiques.

Les politiques doivent écouter les citoyens qui veulent mettre la technologie à l'épreuve de la réalité des "progrès" qu'elle procure. Même au niveau local, quand on demande à un maire de décider un moratoire sur la 5G, il a la possibilité d'entendre ces questions, et d'envoyer un signal fort à ses concitoyens comme aux responsables politiques.

Remerciements pour leurs écrits à François JARRIGE, Didier STUERGA (enseignants-chercheurs à l'Université de Bourgogne), François RUFFIN (député et journaliste), Dominique BOURG (philosophe), la revue REPORTERRE.


Pour aller plus loin :

JARRIGE François, Technocritiques - du refus des machines à la contestation des technosciences, La Découverte, 2014 (notre photo).

https://reporterre.net/Plongee-dans-l-univers-de-la-5G-merveille-ou-cauchemar

https://www.laquadrature.net/2020/10/10/sopposer-a-la-5g-pour-dire-notre-refus-de-linformatique-dominante/

https://www.laquadrature.net/2020/10/09/brisons-le-totem-de-la-5g/

Vers notre site web