L’"agent orange" U.S. : le 1er écocide
de l’histoire en procès en FranceDepuis le 25 janvier se tient à Évry le procès de l’"agent orange", un puissant défoliant dont au moins 80 millions de litres ont été déversés par l’U.S. Air Force sur le Vietnam, le Laos et le Cambodge entre 1961 et 1973. On s’accorde aujourd’hui à parler d’un "écocide", mais ce terme n’est pas encore juridiquement reconnu en France…
Une militante franco-vietnamienne, ancienne journaliste vietcong dans les années 70, Tran To Nga (78 ans), exposée à la dioxine utilisée comme arme chimique, atteinte de tuberculose, de maladies pulmonaires et de cancer, qui a perdu sa fille (née avec une malformation cardiaque), et dont les descendants souffrent de diverses pathologies suite à cette exposition, intente un procès aux multinationales qui ont fabriqué ce produit.Pourquoi en France ? Après des tentatives juridiquement vaines aux U.S.A., au Vietnam, en Belgique (malgré la "compétence universelle" de ses tribunaux), Mme Tran a décidé de plaider en faisant valoir sa nationalité française. La collecte des pièces pour cette affaire a commencé dès 2005, et le procès lui-même a été ouvert en 2015, jusqu’à présent pour de simples "audiences de mise en état" (confrontation des parties). Les avocats des entreprises chimiques ont multiplié les manœuvres dilatoires.
L’agent orange est un herbicide, plus précisément un défoliant, utilisé non dilué (circonstance aggravante) pour empêcher les combattants de se cacher dans la forêt, mais aussi pour détruire les ressources vivrières de populations déjà affamées et coupées du monde. La dioxine qu’il contient pollue durablement les nappes phréatiques, s’infiltre dans les sols, s’agglomère, et passe dans les chaînes alimentaires pour des décennies. Le but de John Kennedy et de ses successeurs n’était sans doute pas au départ de tuer, de mutiler ou de rendre malades les populations, mais les États-Unis n’ont pas pu ignorer longtemps ces ravages. Aujourd’hui, l’État américain plaide la bonne foi (affirmant avoir été trompé par Monsanto ou par Dow Chemical) et aide certaines associations de victimes pour échapper à ses responsabilités.
Des scientifiques sont eux aussi sur la sellette : parmi les équipes qui ont mis en évidence l’effet des dioxines sur le système hormonal, Arthur Galston s’est immédiatement battu pour qu’on en fasse un usage uniquement civil, en alertant sur leurs dangers, utilisant même dans des conférences internationales dès 1970 le terme « écocide » ; mais son collègue Ezra Kraus s’est précipité pour développer ses usages militaires. Les Départements U.S. de l’Agriculture et de la Défense se sont coordonnés pour faciliter leur développement.
Entre 2,1 et 4,8 millions de Vietnamiens ont été directement exposés, auxquels il faut ajouter des Cambodgiens, des Laotiens, de très nombreux militaires et quelques civils étasuniens et leurs divers alliés. Au total, des millions de personnes ont été touchées, sur plusieurs générations, par des maladies respiratoires et des cancers, et les effets tératogènes de la dioxine sont épouvantables.
Ce procès "historique" (pour une fois, ce terme n’est pas galvaudé) en France donne enfin un espoir de voir justice rendue. Mais les parties sont-elles en position équitable ? d’un côté, l’avocat de Mme Tran, William Bourdon ; de l’autre, une armada de juristes pour des firmes chimiques aussi puissantes que des États…
La Convention citoyenne pour le climat a demandé la reconnaissance du crime d’écocide ; Emmanuel Macron a évoqué la notion, mais son gouvernement refuse d’intégrer ce crime à notre droit, et se borne pour l’instant à aggraver les peines d’un délit de "mise en danger de l’environnement", qui suppose des sanctions beaucoup moins lourdes, fait l’impasse sur les notions d’échelle, d’intentionnalité, d’impact sur les générations futures… et ne menace guère les auteurs d’autres types de dégradations de l’environnement.
Pour en savoir plus :
https://www.franceinter.fr/emissions/la-terre-au-carre/la-terre-au-carre-21-janvier-2021
avec l’écrivain-peintre André Bouny (fondateur du comité international de soutien aux victimes vietnamiennes de l’agent orange),
et Valérie Cabanès (militante et juriste internationale, experte auprès de la Stop Ecocide Foundation)
https://www.bastamag.net/proces-agent-orange-guerre-du-vietnam-tribunam-Evry-Tran-To-Nga
article paru dans Politis du 21 janvier 2021 et suivi d’un forum
et 2 articles de Reporterre :
https://reporterre.net/l-agent-orange-le-poison-de-la-guerre-du-vietnam-en-proces
https://reporterre.net/crime-ou-delit-l-ecocide-divise-les-juristes-de-l-environnement