Brésil :
le cauchemar Bolsonaro


Le Brésil est le pays d’Amérique latine le plus grand (8,5 millions de km²) et le plus peuplé (213 millions d’habitants). Depuis des décennies, historiens, géographes, économistes s’accordent à voir en lui une potentielle grande puissance, à condition qu’il résolve de graves problèmes de développement.

Le moins qu’on puisse dire est qu’il n’en prend pas le chemin !
Son passé colonial et son histoire mouvementée au XXème siècle (en particulier la dictature militaire qu’il a subie entre 1964 et 1985) ont gravement entravé son expansion.
Le XXIème siècle a pu donner quelques espoirs, surtout quand le président Lula da Silva, du Parti des Travailleurs, a développé entre 2003 et 2010 une politique de démocratie participative et d’inclusion sociale, puis obtenu (après s’être soumis plusieurs années à une implacable rigueur budgétaire imposée par le FMI) une croissance économique substantielle.
Depuis, la présidence de son "héritière" Dilma Rousseff a été marquée par une aggravation de la situation économique et par des scandales de corruption. Elle a été destituée en 2016. Lula a été entraîné dans sa chute, et déclaré inéligible, de façon très contestable, pour l’élection de 2018 ; ses condamnations n’ont été annulées par la Cour suprême qu’en avril dernier.

Jair Bolsonaro a remporté l’élection présidentielle de 2018 après une campagne mouvementée. Se présentant comme un candidat anti-système (bien que proche des propriétaires terriens et des industriels) et promettant de mettre fin à l’insécurité et la corruption, il est poignardé en plein meeting et échappe de peu à la mort. Il l’emporte largement, sans avoir, "pour raisons médicales", participé à aucun débat ! Victoire facilitée par sa maîtrise des réseaux sociaux, par la pénurie de personnalités démocrates d’envergure et, bien sûr, par la corruption de ses prédécesseurs.
C’est un ancien capitaine de l’armée de terre, et son vice-président est général de réserve ; son gouvernement compte 8 militaires sur 22 ministres, ce qui rappelle de mauvais souvenirs…
Son programme « libéral-conservateur » amalgame capitalisme, nationalisme, autoritarisme et fondamentalisme religieux. Son équipe, globalement inculte et toujours agressive, comporte nombre d’évangélistes et de climatosceptiques.

Ce personnage ne manque pas une occasion de montrer son incompétence et son mépris envers le peuple. Toute personne en désaccord avec lui est qualifiée de "communiste".
Ahurissant macho, il est capable d’accuser une journaliste d’« obtenir des scoops par des faveurs sexuelles », ou de dire à une députée qu’elle « ne mérite pas qu’il la viole »…
Il avait déjà affiché son estime des journalistes avec des bras d’honneur ; le mois dernier, hilare, il a recruté un imitateur pour leur répondre à sa place en leur offrant des bananes !

L’Éducation est, elle aussi, soumise à des pressions : récemment, les autorités ont exigé le retrait de "questions absurdes" dans les épreuves du baccalauréat brésilien, comme la dictature des années 1964-1985 ou les droits des LGBT.
L’obscurantisme triomphe : après avoir gelé la moitié du budget dédié aux sciences, Bolsonaro a nommé un créationniste à la tête de l’agence de l’enseignement supérieur.

La corruption, un des arguments forts de Bolsonaro dans la campagne, s’est aggravée depuis son élection, y compris parmi ses ministres.

La situation sociale est désastreuse : les 5 % les plus riches détiennent autant de richesses que les 95 % restants. Six milliardaires sont à eux seuls plus riches que les cent millions de Brésiliens les plus pauvres.
34 millions de Brésiliens n’ont pas accès à l’eau potable et 49 % de la population ne dispose pas de collecte des eaux usées. La misère s’aggrave, dans une totale indifférence du pouvoir.
Le président a provoqué l’indignation en opposant son veto à un programme (approuvé par le Congrès) de distribution gratuite de protections hygiéniques (un quart des adolescentes doivent se priver d’école pendant leurs règles).

Trois millions de personnes au Brésil n’ont aucun document d’identité. Un véritable cauchemar administratif pour ces personnes qui ne peuvent “ni s’inscrire dans une école, ni accéder aux prestations sociales du gouvernement, ni consulter un médecin du système de santé publique” selon la journaliste Fernanda da Escóssia qui les appelle les “invisibles”. Elle rapporte que l’exclusion au Brésil est due tant à des causes structurelles liées à une administration défaillante qu’à l’abandon paternel, au racisme et au machisme. Certains pères n’inscrivent pas leurs filles “trop noires” ou pas leurs filles tout court... parce que les femmes “n’ont pas besoin de ça”. Cette grave question est ancienne, mais le président actuel ne fait rien pour la régler.

La violence reste endémique au Brésil, avec 295 homicides pour 1 million d’habitants (contre 54 aux U.S.A., 14 en France et 3 au Japon).
Les brutalités policières contre les noirs, les agressions contre les femmes, contre la communauté LGBT, contre les peuples indiens, contre les écologistes et les militants des Droits de l’Homme… sont monnaie courante, de même que les enlèvements contre rançon. La vente des armes à feu (déjà très répandues dans le pays) a été stimulée ces derniers mois par l’insécurité.

Sur la question cruciale de l’environnement, Bolsonaro nie l’existence d’incendies volontaires en Amazonie, qu’il qualifie d’"invention des médias".
Pourtant, selon une estimation officielle du 18 novembre dernier, la déforestation de la partie brésilienne de l’Amazonie a encore augmenté de 22 % entre août 2020 et juillet 2021, ce qui représente 10 000 km² par an (données dissimulées par le gouvernement jusqu’à la fin de la COP 26). Rappelons que Bolsonaro est arrivé au pouvoir avec le soutien du puissant lobby de l’"agronégoce", et ajoutons que son ministre de l’environnement a dû démissionner en avril dernier, impliqué dans un « important réseau criminel transnational de facilitation de contrebande de bois ». Le célèbre chef Raoni a déposé plainte contre le président brésilien devant la Cour pénale internationale ; il l’accuse de meurtres, d’extermination et de mise en esclavage des autochtones de l’Amazonie.

Le Brésil est, par la faute de ses dirigeants, l’un des pays du monde les plus touchés par la pandémie de Covid-19, le deuxème en nombre de décès (615 000) après les U.S.A., où Trump, inspirateur de Bolsonaro, a mené lui aussi une politique de santé désastreuse (777 000).
Le président Temer, successeur de Dilma Rousseff de 2016 à 2018, avait déjà gelé les dépenses de santé publique pour 20 ans. Bolsonaro a encore réduit le budget de la santé de 250 millions de dollars, et chassé 8 000 médecins cubains du pays pour des raisons idéologiques, laissant les zones rurales et les bidonvilles du pays sans médecins.
Depuis le début de l’épidémie, il a mené une politique absurde, qualifiant le virus de "petite grippe", préconisant l’hydroxychloroquine, interdisant toute restriction de circulation et toute distanciation sociale au nom du libéralisme économique, limogeant brutalement un ministre de la santé qui "écoutait trop" les scientifiques, ne laissant pas d’autre choix au maire de Manaus (capitale de l’Amazonie sinistrée par le Covid) que de faire appel directement à l’aide internationale… Il a même déclaré qu’il fallait arrêter d’être un "pays de pédés" effrayés par la pandémie… puis ostensiblement retiré son masque à la fin de la conférence de presse où il annonçait sa propre contamination par le virus ! Il s’agissait peut-être pour lui de garder le soutien d’églises évangéliques pour qui le Covid est une fatalité, sinon une punition divine... Aujourd’hui, il commence à préconiser le vaccin, contre lequel il a mené campagne pendant plus d’un an.
Selon Oxfam, les personnes afrodescendantes, doublement victimes de la précarité et de la discrimination raciale dans l’accès aux soins, sont 40 % plus susceptibles de mourir du Covid-19 que les personnes blanches.

Tous ces problèmes finissent par miner la popularité de Bolsonaro ; ne vont-ils pas inciter les militaires à le « lâcher » ? Certains observateurs le pensent, et ont cru le moment arrivé en septembre dernier, lors de l’échec relatif d’une manifestation orchestrée par le président contre la Cour suprême ; mais l’armée, déjà bien présente au pouvoir, a sans doute intérêt à maintenir le statu quo.

Lula, récemment sorti de prison et favori de la prochaine élection présidentielle (2022), se fait encore assez discret dans son pays… Récemment reçu à Paris par Emmanuel Macron (ce que Bolsonaro a considéré comme une « provocation » en critiquant le président français pour son hostilité à l’accord U.E.-Mercosur), puis par Jean-Luc Mélenchon (qui le qualifie de « précurseur » en politique intérieure et internationale), peut-il incarner l’espoir d’un retour à une véritable démocratie ?


https://www.courrierinternational.com/fiche-pays/bresil

https://www.lemonde.fr/planete/article/2021/11/19/la-deforestation-de-l-amazonie-bresilienne-s-accelere_6102660_3244.html

https://www.liberation.fr/planete/2020/10/26/covid-au-bresil-les-favelas-plus-jeunes-et-pourtant-plus-lourdement-touchees_1803433/

https://www.sudouest.fr/international/seul-dieu-m-enlevera-d-ici-jair-bolsonaro-attaque-les-institutions-avant-les-elections-au-bresil-5774323.php

https://www.liberation.fr/international/presidentielle-au-bresil-un-leader-que-le-pays-merite-20211007_PVX5TTZVSVADNF77RFZUR6TYVE/

 

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