Blanquer, ou l’échec
du libéralisme dans
le service public



Le 17 mai 2017, les Français découvrent une "nouvelle" personnalité politique : Jean-Michel Blanquer est nommé ministre de l’Éducation Nationale dans le gouvernement d’Édouard Philippe.
En réalité, ancien recteur, il avait été, en tant que directeur général de l'enseignement scolaire (DGESCO), le "ministre bis" de Luc Chatel au temps de Sarkozy (et donc le liquidateur du fonds social lycéen, le pourfendeur de la carte scolaire et le chantre de l’évaluation de l’efficacité éducative), avant un "pantouflage" comme directeur général de la grande école privée ESSEC sous Hollande.

En février 2018, sa cote de popularité (62 %) est la plus élevée pour un ministre de l’Éducation depuis 15 ans ; peu à peu, la presse commence à en faire un « premier-ministrable »… Depuis, le nombre de bonnes opinions selon le "baromètre Ipsos" suit une courbe assez erratique mais globalement descendante (36 % en avril dernier, 42 % aujourd’hui).

Évidemment, les sondages ne sont pas pour nous l’alpha et l’oméga d’une analyse politique… Il nous paraît plus intéressant d’examiner les lignes de force de la politique et surtout le bilan du ministre de l’Éducation "recordman de longévité" sous la Vème République.

La politique qu’il préconisait dans son livre L’École de demain (2016) avait le mérite de la clarté : ses thèmes de prédilection, "recherche de la performance", "renforcement des pouvoirs des directeurs, principaux et proviseurs", "contractualisation à tous les étages", "concurrence entre établissements" ont apparemment plu au jeune président néo-libéral de 2017 qui décidait de le sortir de l’ombre. Il n’a pas été déçu de son action !

Le moins qu’on puisse dire est que ses bonnes résolutions (« je veux être le ministre des profs », « je serai le ministre du pouvoir d’achat », « je mettrai en place un bac plus efficace et plus juste »…) ont été vite oubliées.

Son ministère a été marqué par l’austérité financière : depuis 2017, les budgets des lycées, par exemple, ont acté la suppression de 7 490 postes d’enseignants alors que les effectifs augmentaient de 63 662 élèves. Pour simplement garder le taux d’encadrement de 2017, il aurait fallu créer 7 564 emplois. Le déficit, au regard du taux d’encadrement de 2017, est donc de 15 054 emplois.
À la rentrée 2021, aucune création de poste de CPE, de psy-EN, d’assistants sociaux, d’infirmières et d’agents administratifs.
Aujourd'hui, dans le cadre de la crise COVID, des rectorats battent le rappel des retraités pour reprendre le collier et pallier le manque
d'enseignants remplaçants tant le métier a été dévalorisé  !

Le souci affiché par le ministre de permette une plus grande mixité sociale à l’École est purement illusoire : il ne peut avancer comme argument qu’un contrat passé avec 100 lycées favorisés pour qu'ils augmentent leur part de boursiers "sous réserve que la demande soit suffisante". Dans les faits, seule une toute petite minorité d’élèves de collèges défavorisés sautent le pas !
Il se vante de la politique qu’il mène pour les réseaux d'éducation prioritaire (REP), affirmant que "tous les élèves de CP savent lire", ce qui est formellement démenti par les évaluations nationales ; au contraire, les écarts entre les écoles REP+ et celles hors éducation prioritaire augmentent. Et la réforme qu'il a introduite prévoit de supprimer les REP !

Sur le plan pédagogique, la politique de Blanquer a déstabilisé l’Éducation nationale, en dénaturant les enseignements disciplinaires, en remettant en cause toute cohérence dans les parcours de formation... Les fameuses "épreuves communes" du bac en cours d’année scolaire, censées rendre l’examen moins traumatisant et moins injuste, n’aboutissent qu’à des bacs à la valeur contestée dépendant des politiques d’établissement. Non seulement elles n’ont pas résisté à la crise sanitaire, mais elles sont sévèrement critiquées par l’Inspection Générale elle-même !
Elle a aussi aggravé les conséquences de la "réforme des collèges" (lancée par ses prédécesseurs) en créant des options non financées (comme le "français culture antique") qui mettent en concurrence les disciplines ; c’est ce que le ministre appelle "la confiance et l’autonomie" ; une autonomie de façade pour gérer la pénurie de moyens quand les effectifs augmentent, une pénurie qui empêche de réussir l’inclusion des élèves à besoins éducatifs particuliers, qui menace l’existence même de l’éducation prioritaire, et qui justifie d’imposer des heures supplémentaires et d’alourdir encore la charge de travail des professeur·e·s, invité·e·s à "s’autoévaluer", c’est à dire s’engager par contrat à rendre des comptes sur leurs pratiques pédagogiques comme s’iels n’étaient pas des professionnel·le·s qualifié·e·s ; s’engager à atteindre des objectifs pour être performant·e·s... et donc admettre que la réussite des élèves n’est pas une question de moyens et de choix politiques, mais dépend de la seule responsabilité des équipes.

Ajoutons à ce bilan la gestion erratique de la crise sanitaire :
Il affirme le 5 mars 2020 que même en cas de circulation épidémique active, les écoles ne fermeront pas, ce qui est infirmé par l'allocution présidentielle dès le 12 mars.
Lors du deuxième confinement de novembre 2020, sa décision de maintenir les établissements scolaires ouverts divise l'opinion et suscite des manifestations dénonçant l'inexistence de gestes barrières, notamment à la cantine, malgré le "protocole sanitaire renforcé" ; il doit concéder un régime hybride en demi-groupes dès le 5 novembre.
En janvier 2021 encore, il reste dans une logique de non-fermeture. Les écoles, collèges et lycées proposent finalement des cours à la maison au mois d'avril 2021. En juin, il affiche sa fierté d’avoir maintenu les écoles ouvertes en France plus longtemps qu’ailleurs…
À la dernière rentrée, il propose un protocole sanitaire... mais ne précise pas les seuils pour passer d’un niveau à l’autre, oublie qu’il aurait fallu lancer un plan d’équipement pour la ventilation des salles, et refuse de reconnaitre que des effectifs moins chargés en classe ou au réfectoire et un retour à un vrai groupe-classe en lycée seraient les meilleurs moyens de se prémunir de nouvelles contaminations. Dans la flambée actuelle de contaminations chez les enfants, il s'obstine à défendre, à n'importe quel prix, le dogme de la non-fermeture des classes ; il a décidé un allègement du protocole sanitaire fin novembre, au cœur de la "cinquième vague" (avant de redonner un tout petit tour de vis début décembre).

Les actrices et acteurs de l’École n’en peuvent plus des discours fallacieux, des décisions autoritaires et des mesures incohérentes. Iels ont la sensation de ne plus avoir de temps pour exercer leur métier dans de bonnes conditions. L’épisode catastrophique de l’organisation des examens de juin 2021 a été révélatrice de cette situation calamiteuse.
Après 4 ans de Jean-Michel Blanquer, les enseignants français continuent d’être parmi les moins bien payés de l’OCDE. Certes, une "prime d’attractivité" mensuelle de 57 ou 29 euros a été accordée à celles et ceux ayant moins de quinze ans d’ancienneté, mais pas aux autres... On sait que les concours de recrutement, extrêmement sélectifs il y a quelques décennies, sont aujourd’hui loin de "faire le plein". Blanquer promet une nouvelle prime en 2022, mais seule une augmentation significative du point d’indice pourrait résoudre ce grave problème.

Aujourd’hui, Jean-Michel Blanquer est contesté de toute part.
Une bonne partie des parents ont d’abord semblé séduits par son "franc-parler", et la PEEP a apprécié ses premières réformes, comme la semaine de quatre jours ou l’allègement du bac… avant de déchanter peu à peu, constatant par exemple des promesses non tenues sur les effectifs des classes. L’opposition de la FCPE, évidente dès sa nomination et confirmée par le manque de moyens constaté, n’a cessé de croître, culminant avec la crise sanitaire.
Les enseignants, eux, ont très vite compris qu’ils étaient face à un adversaire. Aujourd’hui, leurs syndicats (FSU, SE-Unsa, FO, Snalc…) sont quasi-unanimes à combattre sa politique, et le Sgen-CFDT montre une déception certaine. Les "associations de spécialistes" des différentes disciplines sont vent debout contre le ministre. Dans les salles des profs, celui-ci est couramment comparé à Claude Allègre ; c’est dire combien il est populaire !

On peut s’amuser de son échec à conjuguer le verbe courir au passé simple (« je couru » et il/elle courra ») devant une classe, dans une émission de télévision fin 2018. Mais l’état dans lequel il laisse une Éducation nationale affaiblie, démunie et démotivée ne fait rire personne !

 

"L’École de la confiance" selon Jean-Michel Blanquer (rentrée 2017) :
https://www.education.gouv.fr/annee-scolaire-2017-2018-pour-l-ecole-de-la-confiance-9101

Le soutien initial de la PEEP au bac Blanquer :
http://peep.asso.fr/peep/assets/File/Dossiers%20th%C3%A9matiques/Lyc%C3%A9e/modedemploiE3C1501201449.pdf

Les modalités de la prime d’attractivité des enseignants :
https://www.lemonde.fr/education/article/2021/08/27/la-prime-d-attractivite-sera-versee-a-la-moitie-des-enseignants_6092494_1473685.html

Les "casserolades" de la FCPE :
https://www.fcpe.asso.fr/actualite/tous-les-mercredis-faites-du-bruit

Les critiques du SE-Unsa :
https://www.ozp.fr/spip.php?article27381

L’autosatisfaction de Blanquer vue par le SNES-FSU (mai 2021) :
https://www.francetvinfo.fr/economie/syndicats/greve-dans-l-education-nationale-l-autosatisfaction-du-gouvernement-met-en-colere-le-snes-fsu_4781249.html

Le "bilan bidon" de Jean-Michel Blanquer selon le Café Pédagogique :
http://www.cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2021/08/27082021Article637656433723930381.aspx


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