Interview de
Clément Gendrot, boulanger à Quetigny


Pouvez-vous nous dire succinctement quel a été votre parcours d'artisan boulanger à Quetigny ?


Je me suis installé en mai 2010,
avec mon frère. En association, nous avons créé la boulangerie. À cet endroit, le bar "Le Carillon" n'avait pas été reloué ni réinstallé après un an de fermeture, et nous sommes arrivés (concours de circonstances !) au bon moment pour proposer notre projet. On a démarré en septembre 2009, et on a ouvert le 3 mai 2010. Depuis, mon frère est parti s'installer ailleurs, et je suis resté. Voilà.

Combien avez-vous de salariés dans votre entreprise ?
On a une ouvrière en pâtisserie (qui n’est pas à temps plein), une vendeuse (qui va bientôt passer à temps plein), ma femme, un ouvrier boulanger, une apprentie en vente (très jeune), et moi-même en gérant de production ; ça fait 6.

Comment avez-vous vécu la période de travaux place centrale lors de l'opération "Cœur de Ville" ?

Plutôt mal, parce que ça s'est fait assez brutalement, avec assez peu... voire pas du tout, en fait, de préparation pour les commerçants pour leur expliquer les différentes phases des travaux ou les moments pendant lesquels ils seraient le plus ou le moins impactés. Même vis-à-vis des équipes d'ouvriers sur le terrain, il y avait un manque d'organisation et de maîtrise de l'ouvrage : les ouvriers nous confiaient le matin, puisqu'ils passaient au café chez nous en venant prendre leur poste, qu'ils ne savaient même pas sur quelle partie du chantier ils allaient devoir travailler : ça changeait au gré des découvertes, des incidents, des canalisations qui cassaient parce qu'il n'y en avait pas sur leurs plans ; bref, un grand cafouillage, ce qui a par ailleurs beaucoup retardé la bonne conduite et la fin des travaux. On a vu aussi le problème des parcours fléchés (pour accéder aux commerçants) modifiés plusieurs fois dans la matinée, ou en tout cas dans la semaine, au gré de ces déconvenues ; les gens perdaient leur chemin facilement, les pancartes n'étaient pas remises dans le bon ordre, et ça devenait un véritable labyrinthe.

Est-ce que les travaux ont eu une incidence sur votre clientèle ?

Ah oui ! Sur cette période-là, on a eu un chiffre d'affaires qui s'est effondré de 40 % ! Ce n’est pas uniquement à cause des travaux, parce que dans le même temps, des concurrents, la boulangerie Ange et la Mie de Pain avaient ouvert dans un autre secteur de Quetigny, et des clients ont, sans préférer la qualité des produits là-bas, trouvé plus pratique de joindre ces commerces-là que de venir dans le champ de bataille de la place centrale. Sans l’aide de mes relais familiaux, j'aurais perdu mon commerce à coup sûr. Pendant trois ans, j'ai enregistré des pertes sèches très lourdes à encaisser. Je ne m'en suis toujours pas remis, même si maintenant ça va mieux ; je continue à boucher le trou que cette période-là a occasionné.

Et aujourd'hui, vous êtes revenus au même niveau de fréquentation ?

Non, on n'a pas récupéré ; d'ailleurs, la place, je pense, a perdu globalement de sa fréquentation ; mais on a trouvé d'autres relais dans la clientèle, on s'est réorganisé, on a préféré miser sur la clientèle de snacking, de restauration du midi…
Sur la place, on a beaucoup de gens qui viennent travailler, coiffeurs, banquiers, professions médicales, SCIC Habitat… On avait aussi les facteurs, avant – malheureusement – qu’ils déménagent. Il a fallu que je restructure aussi mon entreprise. On était ouvert jusque-là 6 jours sur 7 ; on a choisi de fermer le dimanche, le jour où on avait perdu le plus de clientèle à cause de cette nouvelle concurrence, et ce n’était pas le dimanche qu’on vendait du snacking… Cela nous a permis de sauver les meubles et d’envisager de poursuivre notre activité. La mairie nous l’a aussi reproché, même si on lui expliquait que cette décision était bien réfléchie : la comparaison entre les chiffres de fréquentation des dimanches et ceux des jours fériés (en chute libre depuis le début des travaux) nous a prouvé que, sans le snacking, la vente de nos seuls pains et viennoiseries ne nous permettait pas de résister dans la compétition avec les nouvelles boulangeries de Quetigny, aux pratiques commerciales totalement inadéquates avec notre profil d’entreprise…

Et le snacking ne baisse-t-il pas à la mauvaise saison ?


Non, ça change : on propose davantage de plats chauds, de panini… que du sandwich ou de la salade. Mais dernièrement, on a eu l’opportunité de développer notre offre café ; on a ouvert une terrasse, avant le confinement, sur le conseil de la mairie… J’étais assez réticent, car je craignais des problèmes de gestion de la clientèle : comme les vendeuses sont seules pour fermer la boutique le soir, je ne voulais pas qu’elles attendent que les clients finissent… mais, au final, ça se passe très bien ; les clients, d’eux-mêmes, débarrassent les tables, voire aident à rentrer le matériel et à nettoyer la terrasse quand il y en a besoin. On a payé 17,80 € pour une année, c’est très peu ; après, on n’exploite pas une très grande surface, on a été encouragé à l’agrandir et on a prévenu les services techniques de la mairie qu’on allait le faire : on exploite 9 m² grosso modo, et je n’ai pas de retour sur le budget que ça représente.

Aurez-vous la possibilité de déménager dans la tour qui va être construite à la place de l’ancien bureau de Poste ?

Depuis 2013, mon frère et moi avions entendu parler de ce projet, et nous étions vraiment intéressés. À l’origine, on avait convenu avec le propriétaire (un particulier) du local actuel qu’on loue, de le lui acheter. Mais quelques années après, au moment où cela devenait possible, nous avons entendu parler des futurs travaux que la mairie envisageait, et notamment du fait d’installer certains commerces, dont une boulangerie, dans de nouveaux locaux en devant de place. On a pris peur, on a demandé rendez-vous au maire de l’époque, qui, à demi-mot, nous a déconseillé d’acheter les murs… Effectivement, quelques mois après, dès les premières réunions sur le projet "Cœur de Ville", la mairie a soutenu l’idée de nous déménager là pour faire un commerce d’attractivité et d’attirer ainsi du monde sur la place ; idée constamment rappelée quand on était convié à s’exprimer sur le sujet. Étant tributaire d’un bail, j’avais cependant plusieurs fois alerté la mairie sur les conditions : un bon timing pour en sortir, possibilité de location ou achat, quelles mesures techniques et quel coût. J’avais donné les grandes lignes de ce dont j’avais besoin en termes de superficie et de budget pour que la mairie puisse bien construire le projet et que je puisse disposer d’un cahier des charges assez précis.
Il y a un peu moins de huit mois, on a enfin été convié à rencontrer le promoteur retenu par la mairie, et là, on est tombé des nues : le budget demandé à l’achat – il n’y avait pas de location possible – était exorbitant : on est passé à 4 000 € le m², ce qui représente avec les travaux et un peu de rachat de matériel, à peu près 1 200 000 € d’investissement HT. Pour une affaire qui aujourd’hui fait péniblement 220 000 € de chiffre d’affaires annuel, on n’est même pas à la moitié de ce qu’il faudrait pour encaisser un investissement pareil !
Oui, théoriquement, j’ai la possibilité ; mais dans ces conditions-là, c’est totalement impossible…

Vous auriez préféré y aller en location ?

Non, pas spécialement. L’achat représente quelque chose d’intéressant pour un commerce. Voyez, ça fait maintenant dix ans que je suis locataire ici ; si j’avais acheté, j’aurais pu déjà avoir remboursé un emprunt immobilier sur les murs, et aujourd’hui, je serais presque en autofinancement, je n’aurais plus de sortie dans mon budget, et j’aurais plus de liberté. L’achat est une bonne solution pour mon patrimoine personnel.

Avez-vous fait des propositions alternatives à la Mairie ?

Oui, j’ai suggéré énormément de choses. J’avais proposé à la mairie de racheter les locaux que j’exploite actuellement ; je savais que le propriétaire serait intéressé et je pouvais le mettre en relation avec elle. L’intérêt de la mairie était de sécuriser leur boulanger pendant la durée des travaux, en assouplissant éventuellement le bail, et de me permettre à la sortie des travaux d’emménager plus facilement dans les nouveaux locaux ; elle aurait alors récupéré une cellule de 200 m², très facilement aménageable et très saine ; dans leur projet d’avoir des professions libérales, c’était idéal pour installer des kinés, des médecins… Je leur avais donné les coordonnées d’un investisseur que je connaissais et qui voulait installer un opticien sur la place centrale ; on est en face du docteur Mettey qui est un professionnel reconnu, et le projet était intéressant. Ce que j’ai proposé est toujours resté lettre morte.
Pour les financements, même chose ; au moment des travaux, je suis allé demander en mairie s’il était prévu un budget pour aider les commerçants en difficulté ; on m’a dit que rien n’avait été budgétisé, et gentiment renvoyé vers la chambre de commerce et d’industrie qui m’a alors dit de « d’abord voir avec ma banque ». Celle-ci m’a aimablement fait une avance de trésorerie de 10 000 € pour la période difficile qui s’annonçait, avance qui s’est vite révélée insuffisante, et sans rallonge au vu les bilans que je produisais.

Pour la brasserie, la situation n’a-t-elle pas été différente ?

J’ai effectivement longtemps ignoré que c’était la mairie qui était propriétaire de ses murs (je pensais que c’était un restaurateur qui avait monté le projet avec un promoteur) ; quand je l’ai appris, j’ai d’ailleurs dit à la municipalité que ça ne me semblait pas une mauvaise idée dans leur projet "Cœur de Ville", mais qu’installer la brasserie avant même que les travaux aient vraiment commencé, c’était un coup dur pour les commerçants de la place centrale dans la restauration (le Fournil Gourmand, Casino, le Kebab et moi-même) : on se partage la clientèle sur place, mais si on installe une brasserie alors même qu’on sait qu’il va y avoir une diminution d’activité, on aggrave la situation de tous ! J’affirmais qu’il était plus judicieux de faire sortir de terre ce bâtiment en dernier lieu. Pour moi, tout a été fait en dépit du bon sens… mais l’équipe du maire n’a jamais tenu compte de mes remarques, on a même presque l’impression qu’ils se servent des critiques qu’on peut leur faire pour grossir encore le trait, au lieu de reconnaître qu’ils se sont trompés.

Et maintenant, que pensez-vous de cette nouvelle place centrale ?

Évidemment, maintenant qu’elle est faite, elle est faite… On ne va pas tout recasser, je n’ai pas envie d’en repasser par-là ! Il y a un peu de positif : ça a apporté un peu de nouveauté, ça a rafraîchi la place, ils ont eu raison de retirer ce monticule végétal entre le parking du Super U et les boutiques (ça faisait beaucoup d’obstruction visuelle aux commerces, ça prenait de la place pour pas grand-chose, ça ramenait des nuisibles, et ça coûtait à la mairie en entretien). Pour le reste, ils ont fait un peu n’importe quoi : le choix des revêtements n’est pas bon, ça se salit. Les joints ont été maintes fois critiqués : quand il pleut, ça fait de la bouillasse, ça remonte et c’est vraiment malpropre ; quel que soit le temps, la mousse et les petits végétaux continuent de pousser dans les joints, et le Monsieur est obligé de brûler tout ça deux fois par mois ; et puis ça garde toutes les saloperies, les mégots, les papiers, les déchets. Il n’y a pas eu de toilettes publiques installées, malgré les nombreuses demandes faites par les usagers, les citoyens et même les commerçants, parce qu’on a souvent des demandes du public d’aller d’urgence aux toilettes ; comme les laboratoires d’analyses médicales refusent, c’est à nous de le faire, même si on n’en a pas le droit !
Ne parlons pas du stationnement, parce que c’est un sujet de discorde perpétuel avec la mairie, qui a fait n’importe quoi ! Ils ont supprimé des places ; contrairement à ce qu’ils disent, il y en a moins qu’avant ! J’entends qu’ils se vantent : il y aurait un meilleur turn-over, au total il n’y aurait pas de surcharge et on trouverait toujours de la place… Mais ce dont je suis sûr, c’est que si on trouve de la place, ce n’est pas parce qu’il y a un meilleur turn-over, c’est parce qu’il y a beaucoup moins de monde qui fréquente la place car les gens sont dégoûtés de ce qui y a été fait ! D’ailleurs, j’ai assisté à une réunion avec la Mairie, et je me suis fait le relais des usagers qui se plaignaient de devoir se garer plus loin des commerces (boulangerie, pharmacie, etc.). Le nouveau parking est mal conçu : il est difficile de s’y rendre, d’y circuler et de s’y garer, les allées sont assez étroites. Et maintenant qu’ils sont passés à la phase de livraison des nouveaux logements près du rond-point, on a déjà les retours des habitants, mécontents parce qu’ils n’ont pas de places de stationnement. D’ailleurs, les commerçants avaient été nombreux à demander à la mairie un parking-relais vers "la ferme", puisque Quetigny-centre était le terminus de la ligne 1 du tram… et les gens en transit entre tram et voiture vers Chevigny, Couternon et autres auraient fourni de l’activité pour les commerçants de la place ! Ça n’a pas été relevé : la mairie prétend que ce n’était pas de son ressort, parce que ça dépendait du Grand Dijon par l’intermédiaire de la SPLAAD.
J’avais suggéré qu’on pouvait profiter de l’aire de verdure entre nous et l’ancien PMU pour faire un petit parc destiné aux enfants, avec des jeux, sachant qu’il y a beaucoup de familles avec enfants qui passent par ici sur le chemin des écoles, et que dans l’opposition, il y a des gens qui considèrent que les aires de jeux sont mal réparties à Quetigny…
Donc, grande tristesse… Et maintenant, à propos de l’immeuble qui doit remplacer la Poste, le promoteur retenu ne respecte pas vraiment le cahier des charges ; par exemple, la mairie avait exigé 400 m² allouables à des activités en rez-de chaussée, et dans le premier plan fourni par le promoteur, il n’y avait que 320 m² ! Ça a fait un peu capoter le projet, parce que la pharmacie qui doit se déplacer là a besoin de 300 m²… cela veut dire que la pharmacie sera la seule à occuper ce rez-de-chaussée… et la pharmacie n’est pas un commerce d’attractivité, mais de destination : on y va parce qu’on en a besoin, où qu’elle soit, alors qu’une boulangerie ou un fleuriste peut attirer du monde et redonner du dynamisme à la place… comme peut le faire d’ailleurs la brasserie pour des gens de l’extérieur. Il y a là un problème de stratégie, d’intelligence dans le projet !

À vous écouter, il semble que vos relations avec la municipalité aient été quelque peu sulfureuses. Quelles propositions pourriez-vous faire pour les apaiser et relancer le dialogue ?

Avec la mairie, les choses se sont effectivement dégradées, alors qu’on s’entendait fort bien à l’origine, et, j’ignore pourquoi, les rapports se sont tendus ; nous avons été évités par la mairie, et nous avons été de moins en moins entendus sur le projet des travaux.
À propos de la terrasse, récemment, on a été repris par la police municipale sur l’impact qu’avait cette terrasse sur la place centrale. On nous a dit que ce n’était pas suffisamment bien tenu en termes d’hygiène, de propreté… ce qui est très mal passé vis-à-vis de moi, parce que mes vendeuses font l’effort de balayer tous les soirs, et même de nettoyer à l’eau quand quelque chose a été renversé ; nous mettons à la disposition de nos clients une poubelle et un cendrier. Certains, par manque d’éducation ou négligence, ne jettent pas leurs déchets proprement, mais de toute façon, mes vendeuses font le travail !
Cette réflexion, je l’ai donc assez mal prise ; le ton est monté, et la discussion est ensuite allée sur la clientèle, qui était un peu… comment dire ? Je sentais que ça dérangeait la mairie en termes de sécurité et d’image… Je leur ai dit que je n’y pouvais rien, que je recevais tout le monde, qu’à partir du moment où les gens venaient consommer chez moi, je n’avais pas à faire de choix. Ma vendeuse a été invitée par un policier municipal à filmer mes clients dans le cas où, s’il y avait des incivilités, ça puisse être donné comme élément à la police municipale pour qu’elle puisse réprimander les contrevenants. Je suis intervenu pour dire que c’était du grand n’importe quoi, que c’était strictement interdit, que j’étais choqué qu’on nous dise ça. J’ai tenté de joindre son responsable, et dans une conversation téléphonique on m’a dit que je devais mieux choisir ma clientèle, que ça posait des problèmes de sécurité, que les gens s’en plaignaient, et on m’a raccroché au nez. Ensuite, au cours d’un échange avec une personne de la mairie, celle-ci m’a dit dans un premier temps être très surprise de la tournure qu’avaient prise les choses. Après avoir auditionné les policiers municipaux avec qui j’avais été en conflit, elle m’a rappelé disant que d’après eux il n’y avait pas du tout eu les propos que je prétendais, qu’il leur faisait confiance, que c’était une équipe sérieuse… On lui a dit qu’on avait des témoins sur ce qui s’était passé dans la boutique, et qu’ils pouvaient écouter sur les bornes les propos des policiers au téléphone qui nous avaient raccroché au nez. Depuis, pas de retour de la mairie, mais on a eu des échos selon lesquels la conversation téléphonique avait été écoutée, que des propos déplacés avaient bien été tenus et qu’il y aurait des sanctions.
Voilà pour les rapports avec la mairie… Je ne peux pas dire qu’on se sente soutenu quand on est commerçant place centrale ; je ne parle pas en leur nom, mais ça vaut pour moi comme pour tous les autres commerçants.


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