Dans l'œil des algorithmes :
la chasse aux fraudeurs... sociaux

Des millions de nos concitoyens (près d'un sur 2 perçoivent des allocations de la CAF) perçoivent des aides diverses et variées, allocations familiales ou de logement, prime d'activité, RSA, CMU (devenue PUMA)... qui leur ont versées par différents organismes ou institutions de l'État. Pour bon nombre d'entre eux, ces aides sont cruciales car ils n'ont pas ou très peu de ressources.
Or certains d'entre eux, de préférence précaires, voient tout à coup l'une ou l'autre de ces aides interrompue sans qu'ils puissent savoir comment et pourquoi cela est arrivé...

"Un score de risque"

Les organismes comme la CAF sont autorisés à collecter des données sur les habitudes de vie et le quotidien des allocataires via leurs comptes bancaires, les réseaux sociaux, en particulier Facebook... Ce serait jusqu'à un millier d'informations qui peuvent être ainsi collectées pour chacun·e d'eux/elles. Des algorithmes calculent ensuite leur "score de risque" (à la fraude), score qui peut déclencher l'interruption d'une aide, ou un contrôle à domicile que ne peut refuser l'allocataire. Sans intervention humaine, sur le seul flair... d'un algorithme!

Comment en est-on arrivé là?

Le chercheur Vincent Dubois a publié un livre, Contrôler les assistés, au titre provocateur. Il étudie depuis 20 ans "l'administration de la pauvreté" et constate que depuis 25 ans les bénéficiaires de l'aide publique sont de plus en plus contrôlés. Pourquoi?
- d'abord, les aides sont de plus en plus conditionnelles : elles sont liées à des situations personnelles ou des contreparties, ce qui conduit à faire des vérifications de plus en plus nombreuses ;
- la logique gestionnaire du système libéral conduit à une mise en scène de cette "bonne gestion" ;
- la surenchère politique qui s'en prend aux sans emploi qui préféreraient les aides sociales au travail, ou qui achèteraient un écran plat avec l'allocation de rentrée scolaire, surenchère que relaie l'extrême droite jusqu'au délire, par exemple sur les retraites dont la moitié seraient versées à l'étranger (suivez mon regard !). Macron, non content de diminuer les allocations auxquelles ils/elles ont droit, vient de remettre à l'ordre du jour cette fable en annonçant un contrôle accru sur les chômeu·r·se·s, au prétexte que certains secteurs seraient en tension : «Les demandeurs d’emploi qui ne démontreront pas une recherche active verront leurs allocations suspendues ». Il n'a pas dû bien se renseigner sur l'état de l'emploi en France aujourd'hui !
- les (nouvelles) technologies qui donnent de nouveaux moyens aux politiques de contrôle par le "data mining" (= collecte de données personnelles).
En conséquence, plus on est en bas de l'échelle sociale, plus on est contrôlé.

Les fraudes augmentent-elles ? Que rapporte ce contrôle ?

Il est impossible de répondre à ces deux questions, pourtant cruciales pour les contrôlé·e·s.
Les contrôles augmentent, donc on trouve plus de fraudes : logique!
10 millions de personnes vivent sous le seuil de pauvreté en France. L'estimation de la fraude "sociale" par les bénéficiaires d’aides, c'est 2 milliards d'€ : une broutille comparée à l'évasion fiscale des plus riches, beaucoup moins nombreux, évaluée de 80 à 100 milliards d'€ ! Dans ce pactole, on estime la fraude fiscale à 17 milliards d'€, et celle aux cotisations sociales de la part des employeurs qui utilisent le travail " au noir", à 14 milliards d'€ !
On peut s'étonner que l'État ne mette pas les mêmes moyens pour récupérer ces sommes colossales que ceux qu'il déploie dans la lutte contre la fraude "sociale" des pauvres...
Pourquoi les contrôleurs du fisc ne débarquent-ils pas dans les salons et les résidences des Arnault, Bolloré, Bettancourt, Drahi... pour compter les jets privés, les piscines et le stock de champagne ?

Des économies substantielles sur les aides sociales

D'après Vincent Dubois, les fraudes "sociales" sont des fraudes de survie : "fraude des pauvres = pauvres fraudes !". Dans le même temps que l'on contrôle à tout va les plus pauvres d'entre nous, pour grapiller quelques euros, le non recours au droit pénalise gravement ceux qui en auraient bien besoin : d'après un "Rapport d'information sur l'évaluation des politiques publiques en faveur de l'accès aux droits sociaux" d'octobre 2016, le non recours est estimé à
- RSA : 36 %
- aide à la complémentaire santé (complément mutuelle) : 57 à 70 %
- CMU (maintenant PUMA) : 21 à 34 % .
La Direction Générale de la Cohésion Sociale estime le non recours à 27 % pour la prime d'activité.
D'autres organismes notent également des non recours de plus de 20 % pour l'APAD (pour l'autonomie à domicile), le chèque énergie...
Le Secours Catholique, en 2018, note une baisse de 5 % des familles avec 2 enfants percevant les allocations familiales...

Ces non recours représentent des milliards d'euros. Tout devrait être mis en œuvre pour que les bénéficiaires aient un accès automatique et facile à leurs droits. Les moyens énormes alloués au contrôle devraient plutôt être réaffectés, et permettre que chacun puisse vivre dignement !
À Quetigny, c'est ce que pointent les habitant·e·s interrogé·e·s dans le cadre d'une enquête menée récemment pour la future convention territoriale dont la CAF est partenaire : "le problème de connaissance des droits est la principale difficulté citée (...), suivie de la difficulté d'accès aux services liée à la dématérialisation". Il est nécessaire de mieux connaître et démonter ces obstacles avec les intéressé·e·s.


Sources :

Vincent Dubois : professeur à l’université de Strasbourg (Institut d’études politiques), membre du laboratoire SAGE (UMR CNRS 7363), auteur de Contrôler les assistés, genèse et usages d’un mot d’ordre, éd. Raisons d’agir, 2021, 24 €.

articles: https://www.vivamagazine.fr/plus-on-est-precaire-plus-on-subit-de-controles

et Télérama n°3744

https://www.aide-sociale.fr/non-recours/

(on peut regretter que ces articles ne soient pas datés)

https://www.liberation.fr/checknews/2020/09/22/est-il-vrai-que-la-moitie-des-retraites-sont-versees...


la fraude au RSA a été évaluée par le député LR Dominique TIAN à 335 millions d'€ en 2010.

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