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L'hôpital public
en déshérence
vu par un grand médecin
Cofondateur du Collectif inter-hôpitaux, ancien chef de service au CHU de la Pitié-Salpêtrière (le plus grand établissement d’Europe), le Professeur André Grimaldi s’est affirmé à la fois comme chercheur et comme clinicien, « pape » du diabète. Aujourd’hui professeur émérite, il raconte tout de l’intérieur de l’hôpital frappé de plein fouet par le Covid-19 et par des décennies de réformes absurdes.
Dans son dernier livre, Manifeste pour la santé 2022, (éditions Odile Jacob), il présente ses 10 propositions pour sauver l'hôpital public qui sort exsangue de la crise, alors qu'il y a 20 ans la France occupait la première place dans le classement de l'OMS des systèmes de santé.
Nous avons extrait les propos les plus significatifs de son entretien avec le journaliste Bruno Duvic dans le Journal de 13 heures de France Inter le 5 novembre dernier.
Selon les établissements, entre 5 et 20 % de lits sont fermés faute de personnel malgré le Ségur de la santé. Pourquoi les métiers de l'hôpital ne parviennent-ils pas à recruter ?
Pour le Professeur Grimaldi, c’est que les conditions de travail se sont profondément dégradées alors que, pourtant, les motivations existent : chaque année, ce sont plus d’un million de jeunes qui postulent pour faire des études de médecine ou d’infirmier. Tous n’y parviennent pas, bien sûr. Mais ce qui est grave, c’est que dans les 5 ans, 20 % des infirmiers quittent la profession.
Pourquoi ? Parce que leur métier a perdu beaucoup de son sens. Parce qu’on a voulu faire de l'hôpital une entreprise, et une entreprise rentable, à contrainte budgétaire.
Il s’agit là d’un problème bien antérieur au Covid, qui a explosé avec la mise en place ratée des 35 heures. Les horaires variables pour le personnel infirmier (qui est "de matin", "de soir" ou "de coupure"), affecté un jour dans un service, le lendemain dans un autre service, qui prend en charge tel jour 12 lits, mais peut avoir à en prendre 14 ou 15 en cas d’absence souvent non remplacée…, ces contraintes créent un cercle vicieux dans lequel le sens du travail se perd.
Le COVID est intervenu comme révélateur, générant fatigue supplémentaire, épuisement, mais aussi déception : la grande négociation du Ségur de la santé a porté uniquement sur les salaires. Dix milliards, ce n’est certes pas rien : la France, auparavant 28ème sur 36, est désormais en 16ème position, seulement moyenne donc, dans les pays de l’OCDE). Mais quid des conditions de travail ?
Alors, comment rendre les métiers de la santé plus attractifs ? Selon le Professeur Grimaldi, il faut :
• reconstituer des équipes stables avec un personnel apte à suivre les malades dans le temps, alors qu’aujourd’hui les personnels sont embauchés dans le cadre de "pôles" composés de plusieurs services et sont affectés dans un service puis dans un autre au gré des besoins, des entrées et sorties, et d’une logique comptable... Le budget de l’hôpital est dépendant de tarifs, et c’est le tarif qui guide l’activité. C’est la règle de la tarification à l’acte, qui a eu pour effet d’augmenter l’activité de 15 % en 10 ans sans embauche équivalente, et même avec des diminutions d’effectifs ! Le Ségur a prévu d’augmenter les salaires mais pas d’embauches...
• établir un budget cogéré, de sorte que l'hôpital ne soit plus géré comme une entreprise, mais que les soignants y participent, notamment en matière de qualité des soins qu’eux seuls connaissent réellement ;
• mettre fin, au niveau de la Sécu, aux dépassements d’honoraires non adaptés des chirurgiens et des spécialistes ; « Vous avez une bonne mutuelle ? » ne doit plus être LA question qui termine une consultation !
• revoir la question des Mutuelles et autres complémentaires obligatoires : en faisant peser sur les Mutuelles les surplus de revenus d'une partie des médecins spécialistes, on crée un système pervers uniquement fondé sur le contrôle des dépassements ;
• par conséquent, il faudrait redonner main à la Sécu et qu’elle rembourse à 100 %, comme dans la crise du Covid ou le gaspillage était quasi nul, justement parce que les soignants étaient à la manœuvre ;
• d'où l'idée d’un « tout Sécu », qui rembourse tout, MAIS à 2 conditions :
o décider des soins qui relèvent de la solidarité (complètement remboursés) et de ceux qu’en qui n’en relèvent pas,
o en d’autres termes, distinguer la solidarité des soins de confort qui relèvent de la responsabilité personnelle (par exemple les tests Covid pour les gens qui font le choix de ne pas se faire vacciner, mais aussi les cures thermales ou l’homéopathie) ;
• par conséquent, mettre fin à la spécificité française qui consiste en ce que, pour le même soin, on ait une gestion par la Sécu et une gestion par les Mutuelles complémentaires, ce qui majore les frais de gestion. C’est ainsi que la France se retrouve 2ème au monde derrière les USA en dépenses de gestion (7,5 milliards d’euros de frais de gestion pour les mutuelles et 7, 3 milliard pour la Sécu). Il faut savoir qu’il y a plus de personnels administratifs que de médecins dans les hôpitaux !
• mettre fin au fonctionnement cloisonné de la médecine de ville et de l'hôpital alors qu’il faudrait un système intégré : le dossier médical partagé – qui existe en théorie, ne fonctionne pas vraiment –, des infirmières spécialisées coordonnant les soins entre ville et hôpital, la revalorisation de la médecine générale, de la gériatrie, de la psychiatrie à l’abandon.
Pour le Professeur Grimaldi, se pose finalement le problème de la gestion démocratique de l'hôpital et, plus généralement, de la santé : où et quand les Français sont-ils interrogés pour savoir ce qu’ils veulent dépenser pour leur santé ? Or, on a vu avec le Covid combien cette question leur échappait : toutes les décisions prises par le Président de la République, après consultation du fameux conseil de défense sanitaire non élu ! Ce grand médecin n’oublie pas que la santé des citoyens est une question éminemment politique : par exemple, les inégalités devant les soins et la prévention sont impressionnantes. Pour lui, l’élection des députés à la proportionnelle permettrait d’instaurer un peu plus de contrôle de la population sur des problèmes qui la concernent au premier chef.Nous ne partageons pas toutes les opinions du professeur Grimaldi : lui-même accepte l'idée que ses affirmations puissent donner lieu à débat ; mais les idées qu'il exprime dans son ouvrage sont particulièrement éclairantes.